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Isle aux Coudres

isle aux coudres

Pour réaliser cet article, j'ai reçu l'aide précieuse d'Hélène qui nous a accueillis dans sa jolie maison de bord de fleuve et qui a si joliment partagé son amour pour son île. Merci à toi, Hélène pour les détails et les anecdotes qui donnent à cette page tout son relief. Nous remercions également, Michel Corboz pour les photos de canots à glace. Allez voir son site internet, ses photos sont exceptionnelles: http://www.pbase.com/zobroc/

Cet article est à lire parallèlement au message 78 qui vous raconte notre expérience et nos rencontres à l'Isle aux Coudres.

Vous trouverez dans cette page, la genèse d'une Isle soumise aux caprices de la nature. L'établissement d'une population courageuse qui dût réinventer l'autarcie. Vous trouverez la description de leur moyen de locomotion, ainsi que leur technique de pêche et la vie communautaire resserrée autour des moulins et de leur église.

Présentation

A un jet de pierre des Éboulements se trouve l'Isle aux Coudres. On raconte qu'en 1663, « un tremblement de terre déracina une montagne, la lança sur l'Isle aux Coudres qu'elle agrandit de moitié et à la place où était cette montagne, il parut un gouffre dont il ne fait pas bon s'approcher. »

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Cette île qui a inventé la douceur de vivre serait le résultat d'une telle violence ? Arthur Buies s'en étonne également. Il écrit : « On dit que la langue de terre, d’un demi-mille environ, sablonneuse et montueuse, qui s’avance du rivage dans le fleuve, et au bout de laquelle se trouve le quai, a été formée également par un tremblement de terre dont le souvenir épouvante encore les gens des Éboulements, et dont le récit est resté une de leurs traditions. L’Isle aux Coudres, qui est en face, est encore l’effet, paraît-il, d’une convulsion semblable. Qui le dirait pourtant ? Cette île, avec son dos arrondi, ses rivages plats, ses champs qu’aucun rocher n’accidente, semblerait plutôt avoir été formée dans un jour de tendresse et de quiétude. Mais les tremblements de terre sont les plus trompeurs des cataclysmes. » (Chroniques de 1877)

"Attention, n'écrivez pas L'île aux Coudres, mais bien l'Isle aux Coudres!"

L'Isle aux Coudres : Faites marée !

« Faites marée » signifie aujourd'hui que les insulaires prennent le temps de laisser la marée changer. Entre deux bascules du fleuve, ils s'arrêtent et profitent du temps. Île bucolique et tranquille, les habitants y cultivent la délicieuse saveur de l'isolement. Ceci est la version poétique de l'expression, mais laissez-moi vous confier, celle que me chuchote Hélène et qui s'imprègne du vécu des navigateurs d'antan:

"A l'époque des goélettes (ou voitures d'eau) les hommes qui partaient travailler sur le fleuve ou sur le continent, n'avaient pas d'autre choix, pour revenir voir leur femme, que d'attendre la marée. Ils arrivaient à marée haute et ne pouvaient repartir que sur l’autre marée pour que leur "voiture d’eau" flotte. Lorsque les hommes repartaient, ils laissaient le "gouvernement" de l'Isle aux femmes. Un réel matriarcat! Toutes des têtes fortes! Capables d'élever les enfants et de gérer la ferme. Et pas question de se jouer dans les pattes! L'instinct communautaire était une question de survie."

"L'Isle compte la plus grosse famille de jumeaux du Québec. Mme Mérécie Desmeules Desgagné a eu 14 enfants dont 4 couples de jumeaux. Veuve à 48 ans, elle a dû faire en sorte que ça marche. Une force de la nature, que rien n'empêchait de jouer du violon. Ses enfants allaient à l’école une journée sur deux, car ils manquaient de souliers pour envoyer tout le monde en même temps. À 8 ans on apprenait à laver les couches dans cette famille là !"

"Ça se passait dans les années 1940. Quand l’bonhomme faisait marée…ça payait !"

Les débuts

Jacques Cartier débarque sur l'île le 6 septembre 1535, après une courte escale, il constate dans son journal de bord, la présence d'un grand nombre d'arbres qui lui font penser au coudrier. Cartier signale que les fruits s’avèrent bien meilleurs que ceux récoltés en France. Ainsi, le navigateur baptise ce bout de terre du nom de « l'Isle aux Coudres ».

L’île reste inhabitée presque deux siècles. Elle sert d'escale occasionnelle pour les navires en direction de Québec et de lieu de relâche pour les pêcheurs de bélugas qui y tannent la peau des cétacés.

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En 1720, les premières familles arrivent sur l'île. Ce sont des fermiers, des éleveurs, des tisseurs et des pêcheurs. Ils développent un mode de vie autarcique. Avec l’arrivée de l’ère de la construction des navires au début du XIXe siècle, des chantiers de construction et de réparation de goélettes sont ouverts. Le nombre d'habitants gonfle jusque dans les années 1950, période où la construction navale tombe en déclin. Il faut attendre la fin du vingtième siècle avec l'avènement du tourisme et de la maison secondaire pour redonner un nouveau souffle à l'expansion de la population. En 2009, l'île compte 1313 habitants. Expansion extraordinaire pour une île dont le pourtour ne fait que 23 kilomètres. A pied, en vélo ou en voiture, le tour en est vite fait. Mais ne vous y fiez pas ! La richesse n'est pas dans sa taille, mais dans sa qualité de vie.

Les traversiers de Saint-Joseph-de-la-Rive au Mouillage des Français

Depuis 1930 un traversier relie Saint-Joseph-de-la-Rive au mouillage des Français. C'est le nom que le quai de débarquement a gardé sur l'île. Le Mouillage des Français n'était, au temps de Jacques Cartier et Champlain, qu'une aire maritime d'attente de vents favorables. Aujourd'hui, l'antre est occupé par un petit port qui s'envase. Des travaux pharaoniques tentent de dégager les petits chalutiers prisonniers d'une boue collante.

Avant le traversier

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L'île ne bénéficie du ballet des traversiers que depuis 1930. Il n'a fonctionné 12 mois par an qu'à partir de 1958. Avant que le traversier ne soit mis en fonction, la vie était rude et les habitants de l'île devaient se suffire à eux-mêmes. L'un des insulaires, Rosaire aujourd'hui âgé de 80 ans, nous raconte ses années où le traversier n'existait pas. Il parlait de ces jours, où parce que le fleuve était contrarié, il attendait sur l'autre rive son père, qui venait le chercher en barque à la rame. Lorsque Rosaire arrivait en face, sur le continent, il allumait un feu. Son père, à la force des bras, lorsque le courant, le vent, les glaces le permettaient venait le chercher. Sinon, Rosaire attendait dans un bivouac. C'était au temps où chaque famille fabriquait sa propre embarcation. Elles étaient de deux types. Soit, c'étaient de lourds canots de bois, peu maniables, soit c'étaient des canots d’écorce, très manoeuvrants, mais instables et dangereux en raison de leur légèreté.

Pour assurer la liaison vers l'île, dès 1760, quelques chaloupes firent leur apparition. Ces embarcations, pourvues d’une voilure, rendaient la traversée plus facile. Mais, elles ne permettaient pas de contrecarrer, les périls inhérents à la configuration du fleuve. quebec Entre Baie-St-Paul, Les Éboulements et l’Isle-aux-Coudres, les courants des marées sont très puissants (5 noeuds) et des vents violents se lèvent brusquement. Afin de profiter des courants favorables, la traversée s’effectuait à marée descendante, afin d'arriver à l'étale sur le continent. L’équipage était formé de cinq hommes, quatre rameurs et un capitaine. La durée moyenne de l’aller-retour était d’environ deux heures. Par gros temps ou si le fleuve était embarrassé par les glaces, la traversée durait quatre heures. Les bateaux vapeur sont apparus dans les années 1860 et firent disparaître le métier de canotier.

Aujourd'hui, le passage est gratuit et le traversier ne prend qu'une quinzaine de minutes.

Après le traversier - Courses de canots à glace

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Alors qu'il n'est plus nécessaire de ramer pour rallier les îles et les rives du fleuve, nos contemporains se sont passionnés pour la course de canots à glace. Réminiscence de cette époque où les avirons étaient une corvée, aujourd'hui, ils deviennent un loisir. La première compétition eut lieu en 1894 entre Lévis et Québec. Les équipes s'affrontent surtout au moment du Carnaval. Depuis une vingtaine d'années, la pratique de ce sport s'est étendue à tout le Québec, des courses ont lieu à Toronto, Windsor, Montréal, Gatineau, Trois-Rivières, Chicoutimi, l'Isle-aux-Coudres, Portneuf et Québec. En 1984, un comité de course a été créé. Il eut pour rôle d'établir la réglementation de base et d'organiser les courses. C'est l'Association des coureurs en canot à glace du Québec (ACCGQ).

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Composition de l'équipage
Un équipage de canot à glace est composé de cinq personnes, soit quatre rameurs et un barreur. Le barreur est celui qui dirige le canot lorsqu’il est en l’eau libre. Sur la glace, tous les canotiers doivent travailler à faire avancer le canot, soit en courant à côté du canot, soit en poussant avec seulement une jambe à l’extérieur se servant du canot comme d'une trottinette. Le capitaine des glaces (souvent un canotier positionné à l’avant) doit trouver la bonne « ligne », le chemin le plus efficace pour se rendre au point de toucher.

Vitesse moyenne d'un canot.
Sur l'eau sa vitesse est de 14 km/heure, sur la glace le canot atteint entre 6 et 10 km/heure et si la glace est parfaitement lisse, il file à une vitesse de 20 km/heure. Le canot à glace est donc un sport de glisse. Afin qu’il glisse bien sur la glace et la neige, sa coque doit être bien cirée. Les canots sont construits en fibre de verre et d’époxy, parfois de fibre de carbone. Leur longueur maximale est de 8,53 m (28’ 2’’), pour un poids minimum : 110 kg (225 livres) pour la catégorie féminine et de 120 kg (250 livres) pour la catégorie masculine.

Autonomie et ingéniosité pour survivre dans un contexte insulaire.

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La pêche à fascines

Les premiers habitants reprirent, à leur compte, une technique de pêche amérindienne qui utilisait les marées, les courants et la situation spécifique de l'île. Cela se nomme la pêche à fascines. Les fascines sont constituées de branchages d’aulne ou de bouleau entrelacés sur des piquets. Les pêcheurs les fixaient au sol à l'aide de pierres. Les ailerons de harts épousaient une forme en « C ». La fabrication de ces fascines (ailerons) s’effectuait en entrelaçant les harts de manière à ce qu’elles ne laissent aucun espace, afin d'emprisonner le poisson à marée basse. Ils capturaient ainsi le capelan, l'éperlan, la sardine, la loche et la plie. Ce type de pêches était accessible à la majorité des ménages. Le dispositif installé à proximité des demeures était peu coûteux, et pouvait être récupéré en fin de saison.

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J'aime beaucoup moins en parler, mais sur l'Isle aux Coudres, comme tout au long du fleuve, la population a pratiqué la pêche à la baleine et notamment la capture du béluga par cette même pratique de piège à marée. Il faut replacer cette pêche dans son contexte. A l'époque, la population était obligée de se vêtir de fourrures et d'utiliser l'huile des mammifères marins pour survivre dans des conditions qu'engendre le climat extrême. La peau constituait un cuir d'excellente qualité avec lequel les bottes, les lacets et autres objets qui demandaient une certaine résistance étaient façonnés. Avec la graisse, l'huile employée pour la lubrification des fusils et machines diverses était produite. Sur l'Isle aux Coudres, le 28 mai 1923, 87 marsouins ont été capturés dans une seule marée. La pêche commerciale au béluga à l'Isle aux Coudres fut abandonnée définitivement en 1924.

Vestiges du passé

Les moulins

Toujours dans l'optique de l'autosuffisance, les moulins servaient à moudre le grain de blé et le maïs afin de préparer la farine qui ferait le pain. Deux moulins sont encore en fonction sur l'Isle, le moulin à eau qui date de 1825 et le moulin à vent qui date de 1836. Ils sont les fers de lance de la fierté patrimoniale. Hélène précise que c'est l’idée d’un poète du pays, Rosaire Bouchard, entrepreneur de métier de restaurer les moulins. C’est lui, avec une équipe d’hommes qui ont restauré les roues, les meules. Grâce à eux, le site trouve une seconde vie, aujourd’hui. Pour lui enfant c’était un rêve de revoir les ailes du moulin rebattent au vent.

Peu de temps après l’inauguration Rosaire est décédé.

L'Eglise

Rapidement après l'installation des premières familles, l'épiscopat bâtit l'Eglise Saint Louis. Celle-ci date de 1741, elle est encore admirablement bien préservée.

Sources :

Site internet de Baie-Saint-Paul : baiesaintpaul.com
Site internet du Québec : grandquebec.com
Histoire Manoir Charlevoix : histoirequebec.qc.ca/publicat/vol9num1/v9n1_7ph.htm
Site de la préservation de la biosphère : biospherecanada.ca/reserves/charlevoix/description_f.html
Dictionnaire : druide.com/antidote.html
circuitinternationalcanotaglace.org/down/299.pdf
memoireduquebec.com