La Réunion : ça bouge!

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"De tous les livres, celui que je préfère est mon passeport, unique in octavo qui ouvre les frontières." Alain Borer.



Bonjour,

La toute première impression, dit-on, marque à jamais les relations entre deux êtres. En est-il de même pour les îles? Chaque île reflète une personnalité bien distincte qui dépend de sa place dans le monde, mais pas seulement ! Elle dévoile son caractère au travers de sa physionomie, ses reliefs, ses contrastes, son agencement selon son mode d'habitation, sa population. Quarante-cinq minutes séparent Maurice de la Réunion, les îles cousines n'ont rien en commun. La première douce et voluptueuse, la seconde en lames de couteaux taillent les nuages de ses hauts sommets.

À l'approche de l'île Intense, une montagne jaillit de l'océan. Sur ses pentes depuis l'océan jusque jusqu'à s'enfoncer dans les nuages, des constructions. L'homme est partout. Ils sont 850.000 à se partager une superficie de 2.512 km². Une comparaison inverse : la Nouvelle-Calédonie est d'une superficie de plus de 18.000 km² et ne compte que 260.000 habitants. Autrement dit, la densité de population réunionnaise saute aux yeux!

La France subventionne l'installation de tout ce petit monde, et lui construit des routes magnifiques qui se faufilent partout ou presque au rythme d'un nombre incalculable de virages. Le pourtour de l'île s'égraine de bouchons et embouteillages, de ville en ville qui toutes ont emprunté leurs noms au calendrier pontifical. Il paraît que les superstitions ont la dent dure par ici, aucun Saint ne sera oublié! Le chapelet commence à Saint Denis, la préfecture, se poursuit vers l'ouest par les stations balnéaires surpeuplées de Saint-Paul, Saint-Giles... Au purgatoire de Saint-Pierre débute le sud sauvage où Saint-Philippe règne en maître, avant d'attaquer la côte Est, toujours avec une succession de Saints : Rose, Benoît, André, Suzanne... Chaque ville possède "ses bains", pieds dans l'eau, ses "bas" d'altitude moyenne, et ses "hauts", la tête dans les nuages. D'un niveau à l'autre, portant le même nom, le climat change du tout au tout. En cet hiver austral, nous nous sommes peut-être trompés de "casting". La surpopulation d'arcs-en-ciel témoigne des sautes d'humeur du ciel. L'île regroupe une variété infinie de climats. Les sommets se parent de givre, les températures au lever du jour avoisinent zéro (en 2007 il a neigé sur le volcan de la Fournaise!) tandis que sur la côte ouest le temps reste clément et la température ne descend jamais sous 18 degrés. Les records de pluviométries mondiaux ont été atteints sur la côte Est et Sud, tandis que l'Ouest reste si sec que les champs de canne à sucre doivent être arrosés.

La Réunion, une terre de contrastes! Un qualificatif qu'elle porte avec brio!

Elle revêt également l'équipement complet du "bougeons!" À en fatiguer les plus contemplatifs des voyageurs. Surnommée "l'île Intense" par les voyagistes, elle donne la part belle à ceux qui ne s'arrêtent jamais. Ici tout le monde bouge, à vélo, à pied, en paddle, en kite, en parapente, en voiture, en hélicoptère... Ils grimpent, ils dévalent, ils surfent, ils nagent, ils courent, ils volent... Impressionnant! Les mots "douceur de vivre", langueur tropicale n'ont reçu aucun visa, interdits de séjour! Les adeptes du farniente en attrapent le tournis! J'ai vu un seul gars, un résistant (?) pratiquer le "hamac" à Saint-Pierre. Il avait tendu son accessoire à sieste entre deux vacoas, arbres du littoral. Tout autour de lui, les enfants criaient, sautaient, jouaient... Comme quoi la vitalité s'acquiert ici dès le plus jeune âge! Si la méridienne n'est pas endémique à la Réunion, ils ont inventé de quoi éradiquer à jamais la paresse du territoire. Le remède se nomme : la diagonale des fous!

Tous les ans au mois d'octobre, a lieu à la Réunion l'une des courses les plus difficiles au monde. Imaginez la traversée de l’île (son sommet culmine à 3.071 mètres!), en diagonale du Sud au Nord, en passant par l’intérieur des trois cirques et accumulant un dénivelé positif de près de 10.000 mètres sur une distance de plus de 170 km (!), le tout en un peu plus de 24 h pour les premiers, le temps limite pour effectuer le parcours est de 66 heures ! Relisez la phrase, et tentez de vous imaginer ce que cette course demande en énergie! Elle équivaut à 4 marathons enchaînés l'un derrière l'autre, ou à 30 montées et descentes successives de la Tour Eiffel. Nous en avons vu s'entraîner au volcan de la Fournaise. Ils ne sont pas qu'une poignée, chaque année, il y a plus de candidats que de participants. Le nombre de places disponibles est de 1.550 pour les résidents de La Réunion et à 1.000 pour les non-résidents. Un tirage au sort par huissier détermine qui pourra participer parmi les Réunionnais. Ils portent bien leur nom ! Des fous! Des fous furieux! Lorsqu'ils finissent le parcours, ils endossent un T-shirt marqué d'un "J'ai survécu"!

Outre cette énergie débordante qui caractérise la population réunionnaise, elle est accueillante. Elle s'intéresse à l'étranger, l'interpelle à son passage. Nous nous y sentons "bienvenus", "adoptés" d'emblée. Il suffit de lancer un "bonjour" souriant pour se retrouver une bonne demi-heure plus tard à la même place, pris dans un flot de paroles zozotées dans ce créole si savoureux. Ils parlent à une vitesse! Mazette ! Ils courent aussi vite de la langue que des pieds! Bien agréables, en tout cas, ces échanges où parfois certains se déroutent pour nous mener vers telles ou telles curiosités qui ne sont pas mentionnées dans les livres. Chemin faisant, nous connaissons les détails de vie de pas mal de monde !

Un autre trait de caractère remarquable de la population réunionnaise est son cosmopolitisme. Que j'aimerais qu'il fasse école partout dans le monde! La population compte 40% de créoles, c'est-à-dire ceux qui ne sont ni Malbars, ni Zarabes, ni Chinois, ni Zoreils, ni Cafres. Les Malbars sont les Indiens hindous, les Zarabes sont les descendants d'Indiens musulmans et sont à l'origine de la première mosquée en France, soit à Saint Denis, les Zoreilles sont les Métropolitains, les Cafres sont d'origine africaine, et souvent les descendants d'esclaves, s'y ajoutent des populations venues des Comores, de Gambie, du Sénégal, du Mozambique, de Madagascar, et de Mayotte. Tout ce petit monde vit ensemble. Permettez-moi d'insister sur l'expression "Vivre Ensemble", car elle aurait pu être inventée ici. L'on peut simultanément voir passer le cortège tapageur de klaxons d'un mariage catholique, pendant que des enfants s'entraînent à la danse du dragon à la pagode chinoise, que le minaret appelle ses fidèles et que le temple tamoul, à deux pas, rayonne de ses mille couleurs. Ici, personne ne pense à utiliser les mots "tolérance", "communautés", "intégration". Tous ces mots, que l'on force partout ailleurs à cohabiter, vont de soi. Personne n'y pense, chacun vit naturellement, sans aucune arrière-pensée dans sa culture, dans son mode d'habillement, dans sa religion sans jamais être pointé du doigt. Un bel exemple à méditer.

Le prolongement naturel de la richesse culturelle se trouve dans la cuisine réunionnaise. Elle réunit des plats gouteux, dans une belle diversité de saveurs et de couleurs. Si j'ai commencé à vous décrire la Réunion par sa population, c'est que dans le voyage l'aspect relationnel prend le pas sur tout le reste. Un pays peut ne pas présenter d'intérêts physionomiques, mais si sa population est accueillante et entretient avec l'étranger des relations agréables, 70% du voyage sera réussi. Pourtant, la Réunion, c'est aussi des paysages grandioses! Époustouflants!

L'océan, les volcans, l'érosion, les vents, les pluies, les rivières... tout collabore et forge une oeuvre magistrale et éphémère. La Réunion d'aujourd'hui ne ressemble ni à celle d'hier ni à celle de demain. En évolution permanente, il suffit d'un éboulement, d'une éruption volcanique, d'une falaise arrachée par des vagues gigantesques, et l'île se redessine. L’homme, malgré sa présence accrue, n’aura jamais le moindre impact sur les éléments, c’est tout le contraire! En un clin d'oeil, le volcan anéantira des années de labeurs. En un souffle de houle, l'océan ôtera la vie de pêcheurs, de marins... L'océan et les volcans dominent nos vies de leurs caprices. Ils sont à l’origine de notre existence. Ils nourrissent notre destin ou le détruisent… S’ils nous permettent de les observer sans nous engloutir c’est une chance inouïe qu’il faut saisir.

Nous décidons de vivre à la lisière de Sud Sauvage. Là où l'homme recule face à l'océan, là où l'homme n'ose plus construire ce que le volcan détruit. J’aime lorsqu’un paysage ne me fait penser à rien. J’aime ça ! Car, c’est là que réside la vraie découverte, celle qui appelle l’étonnement, celle qui donne du renouveau au voyage. En ces jours de houle, l’océan se prend pour un volcan, il jette son écume sur la côte. Des geysers de cristaux étincelants s’élèvent vers le ciel. Qui est qui? Le volcan est calme… du moins pour l’instant! L’océan est volcanique, il bouillonne, s’emporte au moindre soubresaut de vent. Violent, sanguin, on le sent prêt à mordre la roche à belles dents d’écume. L’Indien véhément s’impatiente-t-il de l’apathie soudaine de la montagne de feu? Qu’il patiente… tôt ou tard, elle le rejoindra et gagnera sur lui des lambeaux de terre.

Au bout, tout au bout de la route de Saint-Philippe, la végétation se souvient encore des dernières colères de la Fournaise (2007). D’un trait net, elle s’arrête. Elle cède sa place à la roche nue, rouge, noire, grise, orange. Des tunnels effondrés sont interdits d’accès, ci et là nous devinons des sorties de tubes de lave.

Sauvage!

Le Sud l’est à plus d’un titre. Il est le théâtre d'un duel de titans où la lave gagne ses nouvelles terres sur l'immensité indigo qui lui les reprendra à coups de houles dantesques qui font trembler ses falaises noires. L'eau et le feu. Quelle puissance!

Quitter le rivage, pour s’enfoncer dans les vallées, c’est toute une aventure!

À l'intérieur de l'île, nous pénétrons dans un autre monde, une autre perspective, où l’on oublie l’horizontalité de l'océan pour ne plus se consacrer qu’à la verticalité! À s’en faire des torticolis! Le soleil est parfois interdit de séjour sur certains versants! Ses rayons débonnaires frappés d’ostracisme. L’ombre est reine où la lumière se tamise ! La Réunion est une île « superlative » en ce qui concerne ses reliefs. Tourmentés, les hauts sommets s’entortillent autour de rivières érosives.

Dominée par le Piton des Neiges qui occupe les trois cinquièmes de l'île et culmine à 3070 mètres, elle cache en son coeur trois cirques : Cilaos, Mafate, Salazie. Chacun s'est forgé une identité propre pendant 12.000 ans d'érosion et d'effondrements de la montagne mère qui atteignit à son apogée l'altitude de 4.500 mètres. Mais elle s'affaissa sous son propre poids. Les avalanches de débris, les plissements érosifs ont fait leur travail et donnent aujourd'hui un spectacle extraordinaire. Que ce soit Cilaos, vu d'en bas, ou des sommets, Mafate vu depuis le Maido ou Salazie vu depuis le Col de Boeuf et de l'intérieur, ces cirques engendrent des sentiments vertigineux d'émerveillement. Le panorama sur les cirques est magistral, époustouflant, grandiose, hypnotique. Des reliefs opulents, généreux en déclivités, la roche froissée, éboulée, effondrée. Les remparts dressés… Les versants sombres qui ne voient jamais le soleil sont là pour veiller sur un monde inexploré. Toute la panoplie topographique est ici réunie pour compliquer la tâche à l’épanouissement de l’homme, à son établissement.

Surprenante, la Réunion nous attend à chaque virage !

Partout, le chant des oiseaux gratifie nos balades. Des hirondelles voltigent autour de nous, un tec tec (petit oiseau local) s’approche et nous observe. Dans le ciel, très haut, les papangues planent. Les papangues sont des Busards de Maillard ou Busards de la Réunion. C’est le dernier rapace et le seul prédateur autochtone que l’on trouve sur l’île. Le gloussement de la rivière monte jusqu’à nous. Les rivières creusent inlassablement les vallées, et contribuent elles aussi à redessiner le paysage.

Impensable le travail de l’eau !

Ces minuscules gouttelettes gorgent le terrain, fusionnent en longues chaînes torrentielles. Elles ondulent et forgent les méandres tortueux au coeur de la roche qu’elles découpent inlassablement. Les parois vertigineuses se peuplent d’une végétation acrobate. Le charivari de l’eau monte comme une clameur incessante. La végétation ondoie sous le vent frais qui s’immisce dans les clairs-obscurs. Elle étouffe les fracas du torrent, les oiseaux chantent. Une cascade joue sa symphonie cristalline! La troupe des gouttelettes se jette du haut de la falaise et rayonne d’un éclat de diamant profilant le voile d'une mariée.

L'eau des cascades, l'océan, le volcan, le froid, le chaud, les randonnées de l'extrême ... décidément la Réunion ça bouge!

Nat et Dom


La photo du jour

Le sud de la Réunion donne son spectacle : Jour de forte houle à Grand-Bois.

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