Résidents de passage.

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"Sachant que nous ne sommes pas ici 'pour la vie' nous capturons chaque instant, afin que ces moments deviennent de beaux souvenirs qui nous accompagneront toujours ...", Nathalie Cathala.

Bonjour,

Le bateau était l'alibi idéal au voyage. En le confiant à son nouveau capitaine allions-nous suivre les traces de nos collègues? Chercher une maison, et y poser nos sacs?

Pour être franche, nous avons essayé.

C'est à Maupiti aux îles de la Société en polynésie Française que l'idée d'une éventuelle installation a germé. Nous y étions pour notre deuxième séjour. La première fois, nous avions logé sur un motu de la passe. Sincèrement, la vie de motu ne nous avait pas emballés. Nous dépendions de la famille qui nous accueillait pour prendre le bateau qui nous menait à l'île principale et y trouver quelques activités. Sur le motu, nous manquions de liberté, d'espace, et d'occupations. Notre rythme "lent" et contemplatif nous permet d'y vivre une semaine, voire quinze jours. Une pause, un "break", comme on dit. Un motu, c'est le mythe de Robinson. C'est l'idéal, à court terme. Pour la vivre au quotidien, il faut y être né, et que cela fasse partie intégrante de son être.

Ainsi, lorsque nous revenons à Maupiti, nous décidons de loger au village. L'île est toute menue, cerclée d'une route de 9 km, autant dire qu'on en fait le tour à vélo, ou à pied dans la journée, voire plusieurs fois par jour. Un microcosme! Une amie m'écrit souvent cette phrase: "les îles sont des bateaux qui ne s'échouent jamais"? Est-ce la dimension qui m'a tant attirée? Pas seulement!
Si Bora est appelée la "perle du Pacifique", Maupiti est son diamant!
Une merveille!
Sa montagne aux formes tarabiscotées est encerclée du plus beau lagon. Des marmites forment un écrin de corail où l'émeraude scintille. La passe en "S" dessine un bleu sombre entre les plages laiteuses des motus ourlés de cocotiers. Toutes les teintes du lagon et de l'océan sont prêtes à se laisser embrasser d'un seul regard. Sa position, aux confins de la Polynésie en fait une île du "bout du monde".

Maupiti est encore une "vraie" île!
Avec tout ce que la vie insulaire implique d'éloignements et de manques. N'associez surtout pas ces "manques" au mot frustration. Au contraire! Ces absences offrent une autre dimension à l'essentiel. Ce n'est pas un "appauvrissement", c'est une "rareté".

Un cargo ravitaille l'île "au lance-pierre", en moyenne une fois par mois, dépendant du fret, et des décisions "gouvernementales". Un plus petit bateau (privé) fait la liaison, une fois par semaine, avec Bora, et Raiatea, mais celle-ci se coupe régulièrement pour des raisons de querelles entre les familles. Quelques avions desservent l'île. Ce ballet n'est pourtant pas suffisant pour faire de Maupiti une terre rattachée au reste du monde.

Je m'y sens à chaque fois l'âme privilégiée. Ses habitants, son sol, son lagon dégagent une atmosphère "à part". Quelque chose de "différent". Il n'est pas question d'y faire du "shopping", quelques magasins approvisionnent les 1200 habitants en alimentation de base. Après le passage du cargo, il faut compter trois jours et déjà les étals sont vides. Une petite dame confectionne des paniers en pandanus, certains habitants vendent de l'artisanat : colliers de coquillages et couronnes de fleurs séchées.

Toutes les familles vivent de leur fa'a'apu (potager naturel). Les Polynésiens vivent de leur terre, c'est leur "Fenua". Les îles fertiles ne demandent pas de travaux de labour comme nous le concevons dans les pays occidentaux. Les Polynésiens défrichent et retournent la terre. Puis, ils ne sèment pas, mais ils prélèvent des plants et les repiquent. Ils cultivent ainsi, le taro, l'igname, la patate douce, le manioc (taura), le gingembre, les différentes sortes de bananiers, le chou du Pacifique, mais également une foule d'arbres nourriciers : arbre à pain, manguiers, pamplemoussiers, citronniers, orangers, cocotiers... Il y a aussi les fruits endémiques que sont les pommes Cythère, les nonis et les mape (châtaigner local). Un Polynésien qui se balade dans la montagne ne reviendra jamais les mains vides et y trouvera toujours sa subsistance. Une Marquisienne m'a dit un jour : "personne ne meurt de faim dans nos îles, ou si c'est le cas, c'est un fainéant". Cette phrase m'a été répétée maintes fois depuis. Le fa'a'apu nourrit toute la famille lorsqu'on y ajoute le produit de la pêche et de la chasse (chèvres, cochons...) ainsi que les nombreux gallinacés qui trainent partout. Ce mode de vie était celui des Polynésiens depuis la nuit des temps. Lorsque ce peuple était encore sur le continent de sa genèse, il était cueilleur, chasseur. Il construisit des pirogues, les chargea des racines et d'animaux qui le nourriraient dans ses traversées. Lorsqu'il découvrit les îles du milieu de "nulle part", il avait conservé, dans sa grande sagesse, les tiges principales des tubercules. Il coupa chaque brin en trois ou quatre, les repiqua, et à des milliers de kilomètres de son lieu de départ, il constitua son premier fa'a'apu.

Ce mode ancestral perdura jusqu'à l'arrivée de l'armée et des fonctionnaires liés aux essais nucléaires dans le sud de l'archipel. L'arrivée de ceux-ci a transformé le mode de vie, et a intégré dans les moeurs insulaires le "consumérisme", éloignant les habitants de leur terre. Vers 1980 et les années suivantes, les insulaires affluèrent vers Tahiti et l'Eldorado que représentait Papeete. Mais avec la crise mondiale, la Polynésie a été durement frappée, le retrait des troupes, la fin des essais, et la diminution du contingent des fonctionnaires ont restauré la pratique du fa'a'apu. Certaines îles comme Bora ont perdu ce réflexe nourricier. Nous avons pu nous en rendre compte par nous-mêmes. Ainsi Bora où nous avons vécu 4 mois est régulièrement privée de citrons, ou de salade, voire d'oignons, ou n'importe quelle denrée dite de base. Pourtant cette île est desservie par un ballet incessant de cargos : le Taporo (qui signifie citron) vient trois fois par semaine, et l'Hawaiki Nui deux fois par semaine. Les liaisons aériennes avec Tahiti sont quotidiennes. Mais régulièrement, il manque sur l'île telle ou telle denrée. Pourquoi? Les quelques maraîchers de Bora ne permettent pas une autosuffisance pour plus de 8000 habitants. L'île dépend des deux commerçants qui travaillent en flux tendu avec Tahiti. Les familles ont pour la plupart délaissé leur fa'a'apu, pour aller travailler dans les grands hôtels de luxe.

Maupiti malgré son éloignement a vu des parcelles entièrement consacrées au manioc disparaître. Mais, globalement, cette dernière s'en tire plutôt bien. Sur Maupiti nous avons toujours trouvé des citrons cultivés sur place, de délicieuses pastèques (spécialité de l'île), des pamplemousses, de l'arbre à pain, et ce, tous les jours dans l'assiette... Nous avons même assisté à une pêche miraculeuse à deux pas du village. Dès que nous nous éloignons de Papeete et des grands centres touristiques et économiques, le fa'a'apu est un pilier essentiel de la vie polynésienne. Une étude récente a prouvé que si sur Tahiti 58% des familles vivaient en autoconsommation, ce chiffre grimpait à plus de 85% ailleurs dans l'archipel.

Vous l'avez compris, les familles de Maupiti vivent en autosuffisance sur le plan alimentaire. Ils font venir de Tahiti quelques aliments de base le sucre, le riz, l'huile, les condiments, mais ceux-ci font figure de produits "de luxe" dont tout le monde serait prêt à se passer (ne cherchez pas dans les magasins, une pointe de brie ou des yaourts!). D'un point de vue économique, l'apport financier vient de "l'exportation" vers les autres îles des pastèques et du tourisme qui est sans nul doute la première ressource de cette île. Maupiti a refusé par "référendum", l'implantation des grandes sociétés internationales du tourisme et la destruction de son lagon par la construction des célèbres "farés" sur pilotis. Ils ont décidé que le tourisme demeurerait une affaire locale. Nombreuses maisons ont été aménagées en pensions de famille. Pourtant, nous ne nous sommes jamais sentis écrasés par le flux de visiteurs. La route circulaire est toujours déserte. On y pédale en toute tranquillité. Et d'ailleurs, c'est à l'occasion d'une de nos sorties à vélo que m'est venu un flash, une inspiration à l'installation.

Imaginez: Le calme est absolu, l'air à peine tamisé par l'alizé, le soleil darde ses rayons dans le lagon, il en fait jaillir des éclats turquoise, les oiseaux chantent, quelques sternes pêchent, tandis qu'un héron observe son prochain festin, des maisons éparses jalonnent la route. Et je m'arrête net! Je lance à Dom, "si tu me trouves une maison ici, pour un an, je t'écris deux bouquins!" Dom a failli s'emmêler les mollets dans la chaîne! Lui aussi s'arrête de pédaler. C'est ce qu'il me demande depuis des lustres! Écrire! Écrire autre chose que pour "Internet". Et là d'un coup... Je me sens inspirée comme jamais!

(Entre parenthèses, je vous fais remarquer un détail qui vous aura peut-être échappé : "trouver une maison, oui... mais pour un an". Impossible de nous imaginer pour l'instant en mode statique pour plus de 12 mois, et c'est énorme, malgré notre rythme". Sans doute l'histoire du lièvre et de la tortue? ... Je referme la parenthèse)

Nous restons quelques instants au bord du lagon, nos vélos nous attendent au cocotier d'à côté. Silencieux, nous plantons nos yeux dans la lumière et la couleur, un grain passe de l'autre côté de la barrière de corail. Maupiti est un condensé de Polynésie! J'oserais une comparaison "fragrante", si Bora était une eau de toilette, Maupiti en serait l'essence de parfum.

Forts de cette nouvelle optique sur notre vie, nous prenons un virage à 180° et rentrons voir Mata, notre copine qui nous héberge. Elle adhère à notre projet. Sa mère, Elgine nous dit :"si vous venez vous installer ici, au début on vous observera un petit peu, mais après on vous aimera bien"! J'aime bien ce côté qui n'est pas "tout feu tout flamme". J'aime bien un peuple qui me dit, "il y aura une phase d'acclimatation", c'est le meilleur moyen de poser des jalons solides! Mata, plus jeune, saute dans son 4*4 et nous embarque à la recherche d'une maison... Le tour de l'île est vite fait. Des maisons capables de nous accueillir, il n'y en a point. Il y a des « possibles ", dans un avenir indéterminé. Une maison, là-haut sur la montagne, mais... elle est occupée. Bref, nous sommes sur la liste, pour "si, en cas que, un jour, une maison se libère".

C'est le comble!
La seule île capable de nous retenir n'a pas de maison à nous proposer à la location.
Nous quittons Maupiti échangeant des numéros de téléphone, des adresses internet, et toute coordonnée qui nous permettrait d'y revenir. Notre coeur n'est pas triste pour autant. Pas déçu non plus. J'ai le sentiment d'avoir ouvert une porte. Un courant d'air a traversé nos neurones, un germe attend son heure sous la couche épaisse de terre.

Voilà donc toute notre "aventure" sur Maupiti.

Que vous dire de Bora?
Cette île a décidé de notre statut actuel : "Résidents de passage".

En effet, nous n'avons plus de maison, vous le savez l'Etoile est partie vivre sa vie. Pour autant, nous ne sommes pas prêts à "investir" dans un nouveau toit. Et ... il nous est venu l'idée que si nous louons un "toit", où qu'il soit, autant en changer régulièrement. Pourquoi s'engager dans une location longue durée où nous poserions nos effets? Le contenu de nos bagages nous suffit. Nous baladons une bibliothèque entière dans nos tablettes. L'internet, même lorsqu'il est très mauvais, nous permet de rester en contact avec la famille où que nous soyons. Les pays que nous fréquentons ne demandent qu'une garde-robe restreinte. Et puis, lorsqu'il sera l'heure de rallier le Paradis, autant y arriver les poches vides et le bagage léger ! Réfléchissez... il suffit de peu choses pour s’inscrire dans la mobilité.

Nous trouvons facilement des petits logements proposés à la location par des particuliers, des pensions ou des hôtels, comparaison faite, le prix des loyers n'est pas plus élevé que ce qui est proposé en longue durée. Nous ne nous mettons aucun collet au pied avec un bail, nous sommes libres de lever nos valises à n'importe quel moment. L'affaire est entendue, nous voyagerons désormais d'un studio à un faré, d'un appartement à une maison (il nous suffit d'un lit, d'une salle de bain, d'un coin-cuisine, le tout étanche aux pluies tropicales et protégé du vent). Partout, le bouche-à-oreille fonctionne, et les possibilités foisonnent pour ceux qui se donnent le temps de chercher. Inutile de dépenser des milliers d'euros dans cette forme de voyage, les bons plans sont nos meilleurs alliés.

Certains me parleront de cette nouvelle formule d'échange de logement qui se pratique pour de très courtes périodes. Quel que soit l'horrible anglicisme qui sert à dénommer cette pratique, elle ne nous convient pas. Nous nous "installons" à chaque fois pour plusieurs semaines. Nous n'avons rien à échanger. Les effets de mode, c'est pas notre truc. Et, argument de poids : nous aimons et protégeons notre indépendance!

La vie à Bora nous plonge dans le quotidien des familles tahitiennes, laissant aux hôtes de passage le côté luxe des farés sur pilotis qui encombrent le lagon. À la réflexion, ces farés disposés en étoiles de mer ne gâchent pas le paysage, comme d'aucuns aiment le décrire. Ils donnent un genre au lagon. Pourquoi décrier ce qui est? C'est ! Et rien ne le changera. Nous avons été surpris d'apprendre que ces hôtels qui affichent parfois la chambre à 18 000 euros la nuit s'offrent un taux d'occupation de 75 % en moyenne et qu'ils allaient, l'année prochaine, ajouter une aile entière de farés. Pauvre lagon... Je suis toujours étonnée, de voir l'ampleur du tourisme de luxe en temps de crise. Il n'y a dans ma réflexion aucune once de jalousie ou quelque sentiment caché, je cède tout simplement à l'étonnement. Les nantis de ce monde aiment à passer quelque temps dans ce que les Américains nomment "Boring Boring". En effet, ces hôtels mis à part la situation magistrale des farés n'offrent pas d'autre activité que la "contemplation". Les réceptionnistes y sont les pros du découragement, si bien, que j'ai entendu "de mes propres oreilles" l'un d'entre eux répondre à une cliente désireuse d'élargir le champ de ses investigations et qui demandait "Il a-t-il quelque chose à voir sur l'île principale?" "Non, vraiment rien de spécial"! J'en suis restée baba!

Nous avons vécu 4 mois, sans nous ennuyer et Bora Bora n'a pas rimé pour nous avec "Boring Boring". En attestent, les randonnées vers des panoramas sublimes, les baignades à matira, les tours de lagon en bateau à moteur, la visite aux raies, les snorkelings, la vie de motu (hors hôtel au sein de familles autochtones), tout une vie riche, colorée, dépaysante, en marge du luxe ! Bora Bora est une île à deux vitesses. Celle du luxe, cantonné sur les motus de la ceinture corallienne, et celle de la vraie vie, qui s'éparpille gaiement sur la grande île et les quelques motus qui font figure de bastion des traditions.

Quant à nous, nous choisissons de loger au coeur d'un centre "indépendantiste". Partout autour du petit appartement que nous louons flottent les drapeaux bleu et blanc aux cinq étoiles dorées. Les étoiles représentent chacune un archipel : Marquises, Gambier, Australes, Tuamotu, Société. Les familles du quartier repèrent rapidement ces deux Popa'a qui s'éternisent sur leur territoire. Nous avons droit à des cours nourris sur la préservation des traditions, la défense des valeurs ancestrales, les croyances sacrées, les craintes des tupapau (fantômes), le respect des tupuna (ancêtres). Car plus que le désir de se détacher de la France qui reste l'apport nourricier de l'archipel, les indépendantistes ont peur de voir disparaître à jamais le mode de vie des tupuna qui a si bien forgé le fenua. Je respecte profondément ce combat !

La famille est au ciment social polynésien ce que le fa'a'apu est un pilier au fenua.
La famille! Ha ... la famille en Polynésie!

J'y passerais ma vie que je n'en comprendrais pas toutes les finesses, et subtilités. La famille est complexe et imbriquée, elle est aussi très étendue. La notion d'individualisme n'a pas encore fissuré le ciment qui en unit chaque membre. Les Occidentaux, depuis Bougainville, ont ramené une image idyllique de la vahiné. Ils ont omis de dépeindre toute l'importance de la femme dans la société insulaire. J'ai longtemps pensé que l'homme était le patriarche incontestable et "incontesté", celui qui parfois frappait trop fort, celui qui parfois sous l'emprise de "miss Hinano" (bière locale) criait plus que de raison. Si dans certaines familles, comme partout dans le monde les violences conjugales heurtent la conscience, il ne faut jamais sous-estimer l'influence de la vahiné.

Je me souviens de la réflexion d'un gendarme de Nuku Hiva. Après lui avoir demandé (en raison d'un reportage télévisé que nous avions vu sur la question) s'il n'avait pas eu trop de témoignages de femmes battues, il nous a répondu : "ce week-end, trois hommes se sont réfugiés dans ma gendarmerie, ils étaient poursuivis par leur femme et ils désiraient éviter les coups et les blessures ". À l'époque, nous avions ri... Mais aujourd'hui, après avoir vécu de près la famille polynésienne, je vous avoue que la vahiné s'est révélée, par certains côtés, beaucoup moins "fleur bleue" qu'elle ne l'a été décrite. La vahiné est une femme de caractère, qui sait se faire entendre, et qui ne se laisse pas faire. La vahiné occupe une place centrale dans la famille. Elle "manage" son petit monde et souvent l'une d'entre elles prendra l'ascendant. Comme maman poule, elle veillera au grain, déploiera ses ailes sous lesquelles ses poussins viendront se réfugier. Elle prendra les coups à leur place, mais elle se rebiffera. Elle veillera à ce que personne ne manque de rien, mais personne n'osera lui manquer de respect. Elle sera au coeur des débats lorsque les familles se partageront les terres. Le fond des problèmes relationnels se résume souvent au mot "indivision". Les patriarches avant de mourir divisent leurs terres entre leurs enfants et petits-enfants. Souvent, derrière le grand-père qui désigne les parcelles, une femme inspire les conclusions.

Outre cet aspect, non matriarcal, mais qui s'en rapproche, la notion d'enfant fa'a'amu est extrêmement présente. Lorsqu'un couple ne peut assumer un enfant, ou a trop d'enfants, ces derniers sont partagés au sein de la famille feti'i (proche), mais également éloignée, voire hors de la génétique commune. Les premiers à s'occuper des nouveau-nés sont les grands-parents, mais ce seront aussi les tantes, les cousins éloignés ou des étrangers auxquels les enfants fa'a'amu sont confiés. Ces "adoptions" peuvent se transmettre, ainsi nous avons rencontré une jeune femme qui avait trois mamans, une mère biologique et deux mamans fa'a'amu éparpillées entre les Marquises, les Australes et Raiatea. Son éducation s'était poursuivie au rythme où les familles s'étaient succédé pour l'assumer. Le lien qui unit un enfant fa'a'amu est aussi fort voir plus fort pour ses parents adoptifs que pour ses géniteurs. À tel point que lors des partages des terres les enfants fa'a'amu se retrouvent parfois, à égalité avec les enfants biologiques.

Dans le temps, aucun papier n'était établi, les insulaires bougeaient très peu d'une île à l'autre, et n'éprouvaient pas le besoin de légaliser l'adoption, c'est encore souvent le cas aujourd'hui. La trace de l'adoption était gardée dans la mémoire des patriarches. Cet aspect de la famille la complexifie énormément. Ainsi, sur certaines îles, il devient difficile d'éviter la consanguinité. Une jeune femme nous confiait sur Maupiti qu'elle était tombée amoureuse sans le savoir de son propre cousin. Sa grand-mère l'a prévenue avant que les noces ne soient célébrées. Certains couples poursuivent leur union, d'autres l'abandonnent et tentent de trouver l'âme soeur dans une autre île. Mais cette précaution ne suffit pas, en raison des enfants et parents fa'a'amu que les familles éparpillent dans tout l'archipel. La solution est alors de trouver un « étranger " au fenua.

Le creuset initial des Polynésiens venus d'Asie, il y a plus d'un millénaire, s'est mélangé dès la moitié du dix-huitième siècle, aux Européens par la première vague de navigateurs, puis aux Américains par les baleiniers, au Chinois venus travailler dans les champs de coton, de sorte que le sang polynésien s'est panaché au rythme des apports étrangers. Aujourd'hui, tout le monde considère comme "tahitiens", la deuxième génération. Ce qui donne une population cosmopolite complètement intégrée. Le mariage n'est pas incontournable, le concubinage est plus fréquent. Les unions ne seront légalisées qu'après la naissance des enfants. Une de nos amies s'est mariée au bout de trente ans de vie commune et de six enfants et quatre petits-enfants.

Une autre notion qui nous est étrangère est celle du mahu. Ce mot se traduira par "homme-femme". Dans certaines familles, le troisième garçon est élevé comme une fille. C'est une pratique que nous avions déjà observée chez les Indiens Kunas. Au Panama, c'était pour pallier le manque de filles dans une société où le patrimoine se transmettait de mère en fille. En Polynésie, cette coutume remonte au temps des guerriers, lorsqu'une femme avait vu partir trop de ses fils à la guerre sans en revenir, elle revêtait son dernier garçon en fille, et lui en donnait l'éducation afin qu'il ne soit pas enrôlé. Aujourd'hui, bien que la Polynésie ne soit plus le théâtre de guerres entre clans, certains enfants sont intersexués. Leur rôle au sein de la famille reste essentiel, ils s'occupent de l'éducation de tous les enfants, procréé ou fa'a'amu. Aux réunions de parents-professeurs, les mahus passent de classe en classe pour prendre note de l'évolution de chacun. Les mahus se retrouvent aussi dans les milieux artistiques. Nombreux chorégraphes de Heiva sont des mahus. Avant l'arrivée des Occidentaux, les mahu n'étaient pas forcément des homosexuels (« rae rae " en réo maohi). Ils finissaient leur vie comme vieux garçons. Les Occidentaux, troublés par l'aspect homme-femme, ont dévié leur fonction, et l'homosexualité a fait son apparition en Polynésie.

Après les fêtes de fin d'année, nous quittons notre famille d'adoption de Bora pour rallier Raiatea.

Nous logeons à côté du plus sacré des marae du Pacifique, le Taputapuatea, lieu du culte chargé du plus puissant mana. Les Polynésiens aiment traduire le " mana " par " power ". Le mana, voilà encore une notion incontournable du quotidien océanien ! Il va puiser dans la force des ancêtres tout ce qui fera avancer les Polynésiens d'aujourd'hui. C'est le souffle des tupunas qui pousse vers la réalisation de soi, d'une famille, d'une communauté, de tout un peuple. Le mana, c'est aussi, l'aura qui émane d'un lieu, d'une personne, elle inonde son entourage, rayonne d'une puissance particulière, inexplicable, pourtant, tout le monde y croit. Au quotidien, nous entendons nos amis, nous dire " le mana est avec toi ", " ton mana te protègera ", " ne t'inquiète pas, le mana est là ". Il accompagne tout et tout le monde. Hors de tout folklore, c'est une énergie impalpable bien sympathique ! Finalement, il est bien rassurant ce mana. Il permet de prendre la vie du bon côté, à tel point que j'ai fini mon séjour, ne quittant plus le tiki gravé dans une huître qu'on m'avait offert en me disant : " celui-là est chargé d'un puissant mana ". Tant qu'à faire, je ne voudrais, pas froissé ce tiki (représentation d'une sorte de divinité chargée de ce fameux mana), et garder avec moi, toute la chance dont il m'auréolera...

Elle nous sera sans doute utile, dans les mois à venir qui nous ramèneront dans un premier temps vers la France, puis nous irons explorer des pays que nous ne connaissons pas encore... Dom n'a plus vu la France depuis huit ans, et moi quatre ans... Les choses nous dit-on, ont changé... Heureusement ! Tout évolue, tout bouge, tout change ! C'est ça la vie !

A plus, pour la suite du voyage...

Nat et Dom


La photo du jour

Photos du mois

Le nouvel an Chinois très fêté en Polynésie.