DETROIT DE GIBRALTAR

La porte de l'Atlantique

Gibraltar

Gibraltar… Gib pour les intimes.

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Détroit de GibraltarFrontière entre 2 eaux et 2 continents

Avant le départ, le détroit faisait partie de mes angoisses de pré-marin(e). GIBRALTAR… ce nom avait presque autant de résonance dans ma petite tête de néophyte que le Cap Horn. J’en faisais une montagne plus haute que celles de l’Atlas. Ainsi, pour qu’il soit le plus rapidement possible relégué au catalogue de nos souvenirs, nous avons résolu de tracer une route directe et d’une seule traite entre Port Camargue et Porto Santo. Solution radicale certes, mais cette navigation devait éprouver les capacités réelles de l’équipage…

La situation géographique de Gib. lui confère des particularismes météorologiques tels, qu’il vaut mieux les avoir assimilés avant de le passer.

En théorie cela donne ceci :

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  • Les courants de l’Atlantique rejoignent la Méditerranée en pénétrant avec force dans le détroit. Ainsi, le courant portant à l’Est est renforcé lorsque la marée monte.
  • Les conditions météos peuvent également décupler ce flux portant à l’Est. Le détroit se présente comme un goulot étroit où les vents s’engouffrent en accélérant sensiblement.
  • Combinez le flux de l’eau et celui des vents, à ce qui se présente comme une véritable foire aux cargos de gros tonnage et vous imaginez cette zone comme un obstacle infranchissable.

A moins … d’observer certaines règles…
Celles-ci peuvent ressembler à un véritable jeu de piste aux couleurs un peu trop pittoresques… Pourtant, oublier ces principes de base peut rendre ce passage insurmontable…

    côte du sud de la France
  • Règle n°1 : passer de jour !!!!
    Bien que l’affluence des cargos, soit impressionnante dans la mer d’Alboran, les cargos n’y créent aucun problème. Ils suivent bien sagement, un rail, qui se situe loin des routes des voiliers. Par contre dès qu’ils ont passé Tarifa, ils sont pris d’une frénésie qui les invite à s’éparpiller tout autour de vous, tissant une toile inextricable de sillages. Il est donc impératif de passer l’ensemble du détroit de jour !!!!
  • Règle n°2 : Conditions de vent
    En naviguant vers l’ouest, il faut impérativement attendre un vent d’Est. Mais, pas trop fort ! Car, par force 5 à 6 le vent d’Est combiné aux courants lève rapidement une mer ingérable.
  • Règle n°3 : Conditions de marées
    Partir trois heures après la pleine mer de Gib.
  • Règle n°4 : Ne pas couper le rail n’importe où
    Ne le coupez pas trop tôt vous auriez à le couper deux fois. Certains cargos, remontent le long de l’Afrique pour pénétrer ensuite dans le détroit. De plus il vaut mieux couper le rail à angle droit !

atlantique est

En pratique, voici ce que nous avons vécu :

Dans la mer d’Alboran, je bénissais le rail des cargos, qui tenait ces monstres loin de notre étrave. De nuit, les quarts sont faciles, au lieu de compter les moutons… on regarde défiler les cargos. De temps en temps l’un d’eux s’échappe pour rallier les villes qui se trouvent au Sud de l’Espagne. Mais dans l’ensemble la navigation y est beaucoup plus facile qu’en Méditerranée, où ils peuvent surgir de n’importe nous forçant à analyser en permanence les éventuelles lignes de collision.

Nous pointons notre étrave 3 heures après la pleine mer… Bravo au Cap… Arriver pile poil en ligne directe depuis Port Camargue à l’heure précise, ça c’est de la navigation !!! Par contre, dès que la Pointe de l’Europe est doublée, il règne un chaos « cargotesque » perturbant. Des ferries assurent la liaison entre l’Afrique et l’Europe et coupent le rail des cargos pour pénétrer dans la baie d’Algésira. Des embarcations rapides surgissent de nulle part et se présentent sans crier gare devant votre étrave. Et puis, les cargos complètent cet enchevêtrement de sillages afin de rendre fou le plus zen des capitaines. Ajoutez à cela un brouillard soudain, qui ne vous dévoile ces monstres qu’à un demi mille de vous et vos nerfs sont en pelote ! Le radar ne vous aidera pas beaucoup, il rebondit sur les reliefs, trop proches ! Un immonde bouillon se mêle à la partie. Au pied du rocher, des vagues hachées présentent des crêtes blanches digne d’un vent de force 5, hors, à ce moment précis, il n’y a pas un souffle. Plus loin, et sans transition, des zones de clame laissent la place à un tourbillon de surface infâme.

côte du sud de la France

Nous disposons de plusieurs modèles météos pour ce passage délicat. La plupart annoncent que le vent fraîchira au cours de l’après-midi, mais rien d’alarmant. Pour le moment, nous passons sous le rocher au moteur. Dès que nous passons la baie d’Algésira, le voile du brouillard se déchire. Nous observons les éoliennes qui tapissent les flancs de la montagne. Il nous semble qu’elles tournent bien vite. Nous n’avons pas un souffle… La réflexion est à peine achevée, que nous ressentons un souffle d’air, l’Est nous poussera comme annoncé à 10 ou 15 nœuds. Nous coupons le moteur, le génois se déroule bien vite. Le Cap. ne veut pas de grand voile. Deux voiles sont trop compliquées à gérer s’il faut empanner pour un cargo. Nous nous réjouissons de naviguer de la sorte, après plus de 24 heures de moteur.

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Sans y prêter plus d’attention, l’anémomètre chiffre déjà 20 nœuds. La moyenne augmente, chouette, nous serons hors zone avant la nuit !!! Très vite, la mer se cabre, et nous voici devant Tarifa, avec un vent de 45 nœuds établi dans le génois, que nous enroulons de quelques tours. La mer se rend décidément très peu coopérative. C’est un festival d’écumes et de creux. C’est à ce moment, que nous voyons le rail se disloquer. Désagréable sensation d’impuissance. Nous jouons à saute-mouton, au milieu de monstres d’acier qui tracent leur route, totalement indifférents aux conditions météos. Il faut avoir des yeux partout. Un cargo à bâbord, deux sur tribord, 3 derrière et 2 devant… Plus loin à bâbord, il y a le rail qui longe l’Afrique… Car ici, nous ne fréquentons que les cargos en provenance ou en partance pour l’Europe du Nord… J’ai la sensation que dans le détroit les cargos obéissent aux lois de la génération spontanée. Dès qu’un lot est négocié, il en arrive un autre, puis, un autre…

côte du sud de la France

C’est dans ces moments là que l’on repense à la théorie. Comment passer à angle droit un rail qui se disloque? Le détroit demande de maîtriser son bateau à tout moment. Et surtout de rester zen !

A la tombée de la nuit, nous négocions les dernières routes de collision, laissant les monstres à leur route aveugle pour pénétrer dans l’Atlantique. Les conditions météos que nous subissons depuis Tarifa persistent. Nous espérons, le bulletin météo nous le laissant présager, qu’elles soient inhérentes aux configurations du détroit et qu’elles se calmeront pendant la nuit.

En fait, un vent de NE de force 8 à 9 nous poussera grand largue jusqu’à Porto Santo, dans une mer travers.