L'alimentation ni-vane tourne essentiellement autour de deux racines. Celles de l'igname et celles du taro, bases alimentaires de tous les peuples austronésiens. Lors de leur grand voyage depuis le continent asiatique vers les îles du Pacifique, les tribus emportaient sur leurs pirogues doubles ces tubercules, afin de les planter dès leur atterrissage. Jadis l'igname était la plante de prédilection des peuples du rivage. Tandis que ceux des montagnes, de l'intérieur des vallées et du bord des rivières privilégiaient le taro, amateur de terres gorgées d'eau.
Hors des villes où les citadins s'organisent à l'occidentale, la vie rurale s'articule autour d'un repas principal, généralement pris en fin d'après-midi, sans heure fixe et dicté par la faim ou le retour des travaux du jardin. Au cours de la journée, les Ni-vans s'arrêtent pour de nombreuses collations. Elles se résument souvent à des fruits glanés selon l'opportunité (papayes, caramboles, mangues, coco, corossols. Attention chacun respecte la propriété de son voisin, et sait à quelle famille appartient tel ou tel arbre. Les fruits étanchent la soif et calment la faim. Mais lorsque celle-ci ne se suffit pas de cette simple et naturelle pitance, les Ni-Vans improvisent un casse-croûte des plus originaux! Ils appellent cela le "snake lap lap" ou lap lap serpent.
Snake lap-lap ou l'encas le plus naturel pris sur le pouce...
Détail important, pour allumer le feu, pas besoin de briquet ou d'allumettes. Ces matériaux sont chers, et les habitants des îles reculées n'ont pas d'argent à consacrer à ce type de détail. Ils vont rarement en ville et 5000 vatus (50 dollars) leur suffisent pour vivre pendant 6 mois. Donc, nos amis font du feu à l'ancienne. Ils choisissent soigneusement une branche et des petits bâtons. Ils se mettent à califourchon sur la branche et frottent vigoureusement les bâtonnets, en moins de temps qu'il faut pour le dire, la fumée jaillit. Les bourres de coco animent la flamme. Elles sont placées sous les brindilles... Le feu est entretenu.
Un Ni-van travaille en général 3 à 4 heures par jour pour nourrir sa famille. Les grandes familles possèdent aussi des cocoteraies, et fournissent du coprah, dont je vous parlerai dans une autre rubrique.
Revenons au repas principal.
Après une journée bien remplie à crapahuter par monts et par vaux, le repas de fin de journée, pris en famille est toujours composé de tubercules. Ils sont agrémentés de légumes de saison (souvent le cabbage). La viande et le poisson ne sont pas consommés quotidiennement.
Si les repas ordinaires sont répétitifs et riches en fibres et racines, les repas de fêtes sont orgiaques et les portions de viandes de cochon sont telles qu'elles en écoeureraient Gargantua en personne! C'est une pratique répandue dans tout le Pacifique. Des Marquises au Vanuatu, la viande de cochon est consommée lors des réunions importantes en quantités énormes. Le four enterré, appelé Humu aux Marquises et Vanuatu, ou Ma'a à Tahiti est aussi un dénominateur commun. Autre rapprochement qui ne se limite pas seulement au vocable, on parlera au Vanuautu tout comme aux Marquises de Kai Kai pour manger. Et lorsqu'on prépare un repas au four traditionnel, on parlera de Humu Kai Kai dans les deux contrées, séparées de 6000 kilomètres, mais la distance n'est rien lorsque les peuples tissent des affinités linguistiques et culturelles séculaires.
Le lap-lap accompagne invariablement tous les repas. Le nakira est une spécialité de Santo. Les tubercules sont pré-cuits ou bouilli, ils sont écrasés dans un grand plat en bois (en général, il est à peine lavé d'un repas à l'autre, ce culottage alimentaire étant des "plus ragoutants"(!) La purée obtenue au pilon est arrosée de lait de coco. Cette variante de préparation ne donne pas plus de saveur aux racines que les autres.
Cette nourriture riche en sucres lents fait des Ni-Vans une population bien portante. Pourtant, lorsque nous partons vivre dans les villages j'en reviens en général avec un voire plusieurs kilos (selon la durée du séjour) en moins. Cette nourriture insipide rassasie rapidement et lasse tant qu'elle m'ôte toute envie de manger. S'ajoute à cette inappétence, les conditions de préparation qui demandent un appareil digestif surentraîné aux attaques "bactéries naturelles"...