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Depuis que nous sommes arrivés aux Marquises, nous avons assisté à plusieurs débarquements de visiteurs. Et chaque fois, nous ressentons la même émotion. Les gens qui décident de faire un voyage sur ce bateau ont tous ce même comportement sincère et curieux. Ils ne sont pas à confondre avec les "croisiéristes" des gros paquebots. Ils ne cherchent pas ce type de voyage, où l'on part pour l'intérêt des animations à bord, peu importe l'endroit où ils naviguent. Les hôtes de l'Aranui sont portés par le réel intérêt de vivre une expérience unique. Ils vivent à bord avec l'équipage qui en majorité est Marquisien. Dans chaque île des Marquises, ils assistent aux débarquements des denrées tant attendues, des meubles pour une nouvelle maison, du ciment pour la bâtir, la poussette du petit ange qui fleurit la maison de ses gazouillis...
Les voyageurs découvrent l'identité ma'ohie déclinée dans l'art marquisien. Chaque île s'est spécialisée dans un savoir-faire. A Fatu Hiva, ils retrouvent les dernières faiseuses de tapas. A Hiva Oa ils partent à la rencontre des plus grands tikis d'Océanie, de Jacques Brel et de Gauguin. Ici, sur Tahuata, ils vont à la messe dans la très belle église de Vaitahu et à Hapatoni, ils pénètrent l'antre des meilleurs sculpteurs des Marquises Sud. Samedi après-midi, nous débarquons au petit quai du village, d'habitude baigné d'une douce sérénité, il est animé d'une effervescence peu commune. Les enfants jouent aux «mutoi et voleur» (gendarme et voleur). Ils nous mettent en joue de leur pistolet en plastique. Des cris de joie couvrent les résonnances des fraises de dentistes. Outils utilisés par les sculpteurs pour façonner leurs oeuvres, sur des os de boeuf, de cheval, de cochons, rostres de merlin ou d'espadon, essences tels le santal, le tohu, le bois de rose... Teoho, une jeune femme, dont le prénom signifie "Aurore", cueille avec sa fillette les feuilles de tiarés pour les quinze maisons de sculpteurs qui confectionneront chacune 12 couronnes qu'elles offriront aux hôtes de l'Aranui.
Elles font toutes deux parties de l'association qui a pour but d'accueillir les touristes ou d'organiser les fêtes pastorales. Elles se définissent comme les "femmes tout terrain". Elles jouent de la guitare, chantent, préparent les cocktails, nettoient le village et le me'ae (lieu de culte ancestral). Elles tressent les palmes des cocotiers pour couvrir l'espace communautaire et le rendre "beau" pour l'arrivée de l'Aranui. Tout en nous offrant des gâteaux au chocolat, elles nous parlent de la vie du village. Et aussi de leurs soucis à devoir tout préparer. Devant la charge de travail, elles ont demandé aux responsables de l'Aranui de ne plus amener les touristes qu'une fois sur deux : «Trop de travail!» souffle Sarah, les joues gonflées. Voilà nos Marquisiens grandeur nature : «Demander à moins travailler, à moins drainer de touristes, seule source économique de leur village ». Si les touristes sont une manne financière, ils sont aussi source de bouleversement.
«Ici, il n'y a personne de pauvre, personne n'a faim, si tu en trouves un, c'est qu'il est fainéant !» Les Marquisiens aiment leur vie microcosmique, ils se sentent protégés de tout ce qui touche le reste du monde, et ils n'ont aucune envie que ça change. Pour autant, lorsque les touristes sont acceptés, ils sont accueillis EN GRAND! Nous avons de la chance, aux yeux des villageois, nous sommes considérés comme un trait d'union. Un peu moins touristes que ceux qu'ils attendent, et ils commencent à se confier à nous, à discuter, à s'inquiéter de notre bien-être, nous demandant si nous avons assez de fruits, et si nous ne manquons de rien... Dès qu'ils sont rassurés, ils nous conseillent de venir une ou deux heures avant l'arrivée de l'Aranui, pour participer à "la mise en place". Nous serons à l'heure, dès le lendemain... et nous vivrons l'une de nos plus belles journées aux Marquises. Après avoir participé aux préparatifs de la fête, voici que 200 touristes débarquent dans le village. Au programme, danse des enfants, des mamans et haka d'hommes tatoués. Chants et ambiance décontractée.
"Nathalie, Dominique" Nous sommes donc bienvenus! Le plus grand Terii s'empare de l'amarre de l'annexe. Son copain, Teii, me prend la main pour m'aider à gravir la haute marche (c'est marée basse). Terii et Teii sont des garçons de 10 ans. Il a fallu envoyer Teii à l'école de Hiva Oa, et garder Terii à Vaitahu afin qu'ils étudient plus qu'ils ne jouent. Ils sont inséparables, courent la montagne avec leurs chiens. De vrais caïds ! Malgré leur énergie, ils restent gentils et polis. Très vite Heiautahanui et Valencia nous rejoignent. Ce sont les deux petites stars du spectacle de danse organisé pour les hôtes de l'Aranui. Valencia me prend la main et dirige les opérations. Elle nous conduit au milieu du village où chaque famille de sculpteurs expose ses oeuvres. C'est un festival de figures géométriques. Sur des objets minuscules ou grandioses, le bois ou l'os sont ciselés de mains de maître. Nous repérons très vite une raie manta en bijou pendentif, gravé dans de l'os. Et une pagaie de bois de rose sculptée. Les motifs épousent les rainures du bois, tikis et dauphins tatoués. Une merveille...
Quand les baleinières de l'Aranui arrivent chargée de plus de 180 touristes, objectifs photo braqués sur l'accueil qui leur est réservé, nous sentons une immense émotion de timidité monter au sein des villageois. Tout le monde reste pétrifié. Un moment de paralysie que les hommes tatoués de l'Aranui savent très vite dissiper, en faisant le pitre pour débarquer les touristes affublés de gilets de sauvetage orange vif! Les hommes de l'Aranui sont du pays. Et ça se voit! Tatoués jusqu'au visage, ils sont des encyclopédies vivantes de l'art marquisien. Au coeur du village, outre les sculpteurs, un buffet cocktail attend les croisiéristes. Pas d'alcool, c'est beaucoup trop cher, et il n'y a pas à Hapatoni de débit de boisson. Des limonades faites des citrons cueillis fraîchement, du lait de coco et de l'eau. Comme "apéricubes" des mangues, des ananas, des pamplemousses coupés en dés, et des beignets du fruit de l'arbre à pain.
Heiautahanui, Valencia et les deux jumeaux entrent en piste pour des danses traditionnelles exécutées avec beaucoup d'improvisation, mais les sourires sont si accrocheurs qu'on en oublie les hésitations. Puis les mamans, nous offrent leurs danses. Tout n'est que grâce et volupté dans les gestes figurants lascivement des scènes de la vie quotidienne. Après ce moment de douceur et de magie voici que trois danseurs, dont l'un est tatoué sur tout le corps entrent en piste. Nous passons à une démonstration de force. Le haka est un art qui demande de l'endurance. Et ils en ont. C'est tout simplement spectaculaire. Epuisés, les hommes tatoués saluent, les applaudissements fusent. Et voici que l'Aranui offre un buffet à volonté à ses hôtes et au village. Merci l'Aranui... un bon repas dont nous profitons, nous aussi, au même titre que les gens du village. Au menu, légumes variés, salades, brochettes de poissons, côtes d'agneau, porc grillé, saucisses... Une farandole gastronomique dont nos estomacs n'ont plus l'habitude, mais se régalent.
Nous rentrons au bateau. Non sans promettre aux enfants de revenir demain. Hé oui, ils ont une semaine de vacances, et ils comptent que nous restions toute la semaine avec eux. L'occasion est trop belle de varier leurs occupations en nous baladant partout autour de chez eux. P.-S. Je n'ai pu donner à ce message tout le poids de l'émotion ressentie lors de cette journée. Mais pendant que je vous écrivais, depuis le cockpit, une horde de dauphins n'a cessé de tourner autour du bateau. Je ne pouvais m'empêcher de vivre les deux à la fois : vous écrire tout ce bonheur et les voir évoluer en même temps. Ceci explique ma distraction... |
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