LES ROQUES : Venezuela

LES AVES : Sotavento

LES AVES : Barlovento

   

Message 76 – écrit en mars 2009
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"Les bonheurs indécents du Jardin d'Epicure "























"La nature te donne tout pour être heureux, libre à toi de ne pas lui demander l'impossible" Jean Salem.

Infos site et lettre

A vos courriers qui nous attendaient dans notre messagerie, nous avons mesuré le temps passé loin de vous. Nous vous rassurons, notre lettre du mois n'est pas devenue une lettre semestrielle, vous le savez, pour communiquer nous avons besoin d'Internet et nous ne retrouvons ces facilités qu'aujourd'hui. Le site a subi une interruption pendant quelques semaines. Une erreur d'aiguillage de notre hébergeur qui est à présent résolue. Vous pouvez dès maintenant reprendre vos habitudes de consultation, vous êtes tous les bienvenus sur : www.etoiledelune.net

Nouveautés sur le site

Nous vous avons préparé une nouvelle rubrique : "Le voyage de l'étoile de Lune en vidéo". Nous vous invitons à consulter les toutes dernières images animées des Aves, sa faune et sa flore, ses voix...


Quatre albums photos en musique complètent cette lettre :

Photo du mois  : Baignade accompagnée.


Résumé de la lettre

En ces périodes troubles où les bourreaux médiatiques transforment notre quotidien en une réalité qui les arrange, nous avons fui cette autorité abusive. Plutôt que de nous focaliser sur les finances mondiales qui ruinent la santé, nous avons retrouvé cet archipel en marge de la civilisation que nous aimons tant : Los Aves. Nous y avons cultivé le goût du bonheur et ressortons de cette expérience avec un message pour vous.



Bonjour,

Los Aves signifie "Les Oiseaux". Loin de nous plonger dans le film angoissant d'Hitchock, l'archipel, par la fréquentation de multiples variété d'oiseaux, mérite amplement son nom. Si en 2007 lors de notre premier passage nous avions eu la chance de nager pendant quatre heures inoubliables avec les dauphins, cette année, au rythme d'un apprentissage quotidien, nous avons pris des leçons d'ornithologie et de savoir bien vivre.

Avez-vous déjà eu la sensation de vivre comme dans un livre ?

Au hasard de mes lectures, je me suis replongée dans les préceptes d'Epicure. Le philosophe grec, en rupture avec une société pourvoyeuse d'angoisses et de vaines agitations économiques et politiques, avait créé, à l'écart d'Athènes, une école philosophique qu'il nomma "Le jardin". Il y enseignait un bonheur à la dimension de l'homme ainsi que la sagesse du plaisir. Attention ! Il n'avait rien du prosélyte lubrique militant pour une débauche débridée comme les langues jalouses de l'époque tentaient à le décrire. Non ! Epicure s'adonnait à l'art d'être heureux tout simplement. Mû par un héroïsme tranquille et accessible il déployait autour de lui une bienveillance joyeuse. Le simple fait d'exister, de regarder, de sentir, de voir, de respirer engendrait pour lui une satisfaction sans pareille.

A vrai dire, la fin de la saison cyclonique 2008 ne s'annonce pas pour nous, aux couleurs de l'épicurisme. Nous sommes à Curaçao, le temps du carénage, nous restons à terre sur un chantier remisé derrière les hautes cheminées des raffineries de pétrole de Willemstad. Rien, sauf des moustiques gros comme des pélicans, ne survit dans l'épaisseur de la pollution ambiante. Les pluies sont incessantes, un début de cyclone nommé Omar retarde les équipes qui nous aident. Rien... Vraiment rien pour pavoiser ! Tout tourne à l'envers... Les humeurs s'émoussent et se frottent aux vicissitudes du chantier. Le jardin d'Epicure affiche complet et nous relègue en queue d'une longue liste d'attente.

Puis, vient le jour de la remise à l'eau... Une libération !

Le 4 novembre nous effectuons les derniers approvisionnements. L'Etoile de Lune est pleine comme un oeuf, le capitaine grogne, la ligne de flottaison s'enfonce.

Nous sommes parés !

 

Parés pour une navigation de deux cents milles vers l'Est. Nous sommes heureux de reconquérir notre liberté. Nous reprenons la mer dans des conditions de rêve ! Les jours de ciel bleu se succèdent, nous avons le temps et le prenons. Pas de moteur, rien que de la voile ! Tout est si calme autour du bateau, nous entendons glousser la coque. Nous sommes seuls sur un grand cercle bleu et la mer respire. Quand elle est mue par cette légère ondulation, elle puise son souffle le long de la coque. Elle soupire, heureuse sous les caresses du bateau.

La lune succède au soleil et lorsqu'à son tour elle va se coucher, les étoiles filantes prennent le relais. Si nombreuses... Mais où filent-elles toutes comme ça ? Apothéose de la nuit, la dernière étoile s'efface, le soleil est là, très vite il redonne la couleur à la mer, et tout reprend vie. Sous les grosses toisons blanchâtres des nuages, la mer s'habille des feux des premiers rayons du jour. Un banc de dauphins saute à l'étrave. Ils nous ouvrent la route, bondissant de vague en vague jusqu'à l'entrée de l'archipel des Roques.

Le premier paradis : les Roques

Le 9 novembre, nous retrouvons les Roques, archipel dont les amateurs disent qu'il est aussi joli que la Polynésie, mais sans les requins ! A l'abri d'une grande barrière de corail, une trentaine d'îlots offrent des mouillages sur une eau cristalline. Nous choisissons notre îlot, il se nomme Cayo de Agua. Nous trouvons pour notre Etoile une piscine d'une profondeur de 3 mètres, sur un banc de sable qui donne à l'eau sa couleur émeraude. Notre séjour aux Roques se passe dans un bonheur indécent. L'eau lisse, les reflets couleur lagon, les baignades en bordure du récif égrènent nos journées.

Elle n'est pas belle la vie?

A l'arrière de L'Etoile de Lune, des tortues ont élu domicile sur un gigantesque plat de salade sous-marin. Nous les voyons reprendre leur souffle, elles invitent Dom à essayer son nouveau jouet. Il s'est acheté un caisson pour l'appareil photo. Il m'entraîne dans ses baignades. C'est un réel aquarium multicolore. Mon préféré reste le diodon. Il tente de se faire tout petit, sous une arche de récif, il ne bouge pas. Seules ses nageoires frétillent et sa bouche. Ha! Sa grosse bouche pulpeuse qui le rend si craquant semble nous envoyer de gros bisous. Je ne m'en lasse pas!

Les jours se suivent et la dernière onde tropicale de la saison nous réveille en pleine nuit. Sous ses offensives de pluies et de vents, l'Etoile baisse la tête et courbe l'échine. Les jours se succèdent, le vent faiblit, ce qui réveille une armée d'élite des moustiques. Nous résistons ! Par vagues successives, nous gagnons certaines batailles, mais nous ne parvenons pas à repousser tous les belligérants. Ils sont surentraînés ! Nous regrettons ne pas avoir acheté les super raquettes électriques qui sont censées les tués d'un bon coup de revers. Vous imaginez un match passionnant entre Mouss' et Capitaine où le gain en moustiques tués se ferait à coup de sets échangés avec une fureur jamais vue sur l'Etoile !

En plus de cette armée d'acharnés, une houle anormale se lève. Notre paradis se transforme en chaudron de sorcières. Nous levons l'ancre et partons sur les Aves.

Le deuxième paradis : Barolovento

Aux Aves, nous apprenons la juste valeur du bonheur épicurien. Non pas ce grand idéal inaccessible, ce besoin immense de tout manger en une bouchée ! Nous nous satisfaisons d'une simple accumulation de délices quotidiens. Nous nous contentons d'un ciel étoilé ou de vibrer à l'unisson de la faune et de la flore. Contemplatifs et sereins, tout dévoués à nos petites découvertes du monde des fous, le matériel a tenté d'exercer sur notre bonne humeur quelques pressions. Il nous a suffi de quelques jours pour mesurer ce qu'était la vengeance de la machine sur l'homme. Finies les photographies sous-marines, notre appareil s'est noyé dans son caisson étanche. Notre appareil de secours ne se charge plus. Mon ordinateur tout neuf me trahit de la plus honteuse des façons. Amnésique, il a oublié ses fonctions informatiques et se comporte comme une vulgaire télévision refusant même l'usage de son clavier.

"Et comment je fais pour vous écrire?"

Inutile d'appeler le père Noël pour remplacer le matériel défectueux, il ne vient jamais jusqu'ici.

Les cadeaux de la vie

Pendant la nuit de Noël, nous sommes réveillés par un chant d'amour ! D'une seule voix, plus d'un millier de fous entonnent le même air! Quelle plus belle manière de commencer l'année qu'en s'adonnant à l'ivresse de l'amour ? Un amour fou ! Lorsqu'ils sont amoureux, leur bec se transforme en arc-en-ciel. Ils exécutent des parades amoureuses bruyantes et splendides.

Quel raffut ! Quelle santé !

Jour et nuit et cela pendant plusieurs semaines, les mâles paradent. Certains poussent l'ardeur jusqu'à l'épuisement. Consumés d'amour, nous les retrouvons inanimés sur la plage. Lorsque les couples sont formés, ils choisissent une branche de la mangrove où ils construisent leur nid. La mangrove se transforme alors en un gigantesque arbre de Noël où sont accrochées des milliers de boules blanches et brunes.

Savez-vous pourquoi on les nomme "fous"? Ils doivent leur nom aux marins d'antan. Les oiseaux se posaient confiants sur les ponts des navires et se laissaient si facilement approcher, qu'il suffisait de les ramasser pour améliorer l'ordinaire. Aujourd'hui, nous ne les croquons plus que du bout de l'objectif ! Car les fous sont des oiseaux attachants. Nous leur rendons visite en kayak, en annexe ou à pied dans la mangrove, ils lèvent la tête, ils tortillent du cou, l'oeil rond comme le point sous un signe interrogatif, ils semblent nous dire : "T'es qui toi ?" "Tu viens d'où toi ?"

Les affres du paradis

Les Aves comptent une multitude de variétés d'oiseaux, fous à pattes rouges, fous bruns, pélicans, sternes Douglas ou fuligineuses, puffins, moines ou noddis, flamands roses, hérons de toute taille, hirondelles, tourne-pierre, bécasseaux, pluviers, chevaliers, faucons pêcheurs, parulines jaunes et autres passereaux... Tous vivent en harmonie.

Tous?

C'est sans compter les frégates!

Les frégates ne se fatiguent jamais, il leur suffit d'ouvrir les ailes, l'air les soulève et elles planent sans effort pendant des heures. Paresseuses invétérées, elles ne prennent pas la peine de pêcher. Elles planent à l'orée de la mangrove et elles n'ont d'yeux que pour les fous qui reviennent de la pêche. L'oeil noir acéré, enrobées dans leur plumage de ténèbres, les frégates repèrent les plus faibles et fondent sur eux. Elles le déstabilisent, tirant de leur bec sur une aile, le pauvre fou tombe à l'eau. Grogui, il se débat, le bec en l'air, une à une les frégates viennent prélever leur dîme dans sa gorge déployée.

C'est bizarre comme ce comportement me fait penser à quelque chose... Mais quoi donc?

Le courage des pêcheurs

Aux Aves nous ne vivions pas complètement à l'écart du monde des hommes, nous avions pour compagnons, les pêcheurs vénézuéliens. Leur vie n'est pas facile. Si pour nous, cet archipel est le paradis, pour eux, il est synonyme d'éloignement et de dur labeur. Les grosses lanchas viennent déposer leurs pêcheurs sur des îlots où une cabane mal fagotée abrite leur sommeil et leur vie de reclus. Ils parcourent dans leur peñero fortement motorisé le récif de long en large et à longueur de journée. Ils pêchent langoustes, lambis, poissons et parfois même les tortues. Les pêcheurs restent sur ces îles désertes pour des campagnes qui dépassent trois mois.

Les lanchas dont ils dépendent font la navette entre les Aves et Curaçao ou entre les Aves et le reste du Venezuela. Elles gardent dans leurs cales de la glace qui leur permet de conserver le poisson pendant une quinzaine de jours. Le poisson est également séché. Pendant l'absence des lanchas, les pêcheurs gardent leurs prises vivantes dans des viviers qu'ils construisent à l'aide de corail mort et de coquilles de lambis. Dès que les lanchas arrivent, les peñeros, sans relâche pêche au filet, aux fusils, à la traîne afin de remplir les cales réfrigérées des lanchas.

Lorsque les lanchas repartent vers le continent, elles laissent aux pêcheurs, une réserve d'essence pour les moteurs hors-bord, une réserve d'eau (qu'ils complètent souvent en venant nous voir), une réserve de riz, de farine de maïs, rarement des fruits et des légumes. Outre la pêche, ils prélèvent les oeufs des fous qui améliorent leur ordinaire.

Rien de superflu, comme vous le voyez...

Ils viennent régulièrement nous voir, pour nous demander de l'eau potable, des piles, des allumettes, un tuba, un masque, un outil ou une pièce de rechange pour leurs moteurs. Ils nous demandent la météo à venir ou tout simplement ils discutent un peu. Bien que nous ne fumons pas, nous avons toujours des cigarettes ou une petite bière à leur offrir. Nous leur répondons dans un espagnol spartiate, mais ils font des efforts pour nous comprendre et pour parler plus lentement. Lorsque nous leur annonçons les coups de vent, ils prennent toujours l'air dépité. Les alizés compliquent leur tâche. Lorsque les vents soufflent au-delà de 25 noeuds, ils doivent arrêter leur activité, leurs barques qui rasent la surface de l'eau ne leur permettent pas de braver une grosse mer. Ils restent alors à l'intérieur du lagon et prélèvent dans la mangrove les appâts qui leur permettront de travailler au moment où le vent se calmera.

Lorsque leurs réserves sont suffisantes, ils nous offrent du poisson ou des langoustes. Un moment de partage, un peu trop limité par notre manque de vocabulaire. Mais un échange où de grands sourires remplacent beaucoup de mots mal prononcés.

Troisième paradis : Sotavento

Nous arrivons à Sotavento au coeur d'une réelle fanfaronnade. Jamais je n'ai vu pareil spectacle. En cette fin de février, le carnaval bat son plein partout dans la Caraïbe. Les décibels s'échappent généreusement de toutes les villes. La veille du Mardi gras, nous jetons l'ancre dans le nord de Sotavento. Nous sommes à plus de quarante milles de toute île civilisée et pourtant un vacarme assourdissant nous réveille la nuit et emplit nos jours. Nous arrivons exactement au même moment que plusieurs milliers de sternes fuligineuses qui ont jeté leur dévolu sur l'îlot juste en face de notre étrave. Les sternes se réunissent en cavalcades célestes, si nombreuses elles forment des nuages noirs et bruyants qui ne se pose jamais. La frénésie de l'accouplement les tient éveillées pendant plusieurs jours et plusieurs nuits. Un spectacle incroyable, car elles représentent une colonie de plus de plus de 2000 individus...

Outre ce spectacle, les Aves de Sotavento nous offrent un vivier qui nous permet de prolonger notre douce retraite. L'eau translucide dévoile une faune sous-marine plus abondante qu'aux Aves de Borlovento. Nous sommes à l'extrême limite du territoire du Venezuela, certains pêcheurs viennent jusqu'ici, mais ils sont beaucoup plus rares. Les bateaux de passage le sont aussi, car l'ancrage est moins bien abrité qu'aux îles de Borlovento. Ainsi, les eaux sont plus poissonneuses. Dom, au cours de ses baignades, me dira avoir croisé "un pagre gros comme un veau". Il croisera aussi de grandes raies et... de vilains barracudas au moins aussi grands que le pagre. Plus généreuses, de plantureuses Brésiliennes s'offriront à lui. Non pas des jolies Cariocas échappées du carnaval de Rio, mais des apaitissantes langoustes.

Un rêve de Robinsonade à protéger

Ces derniers mois nous avons réalisé notre rêve. Avant de partir, nous nous demandions s'il existait un endroit sur cette planète qui soit synonyme de refuge, un lieu où il fait bon se poser, où les questions s'arrêtent et où trouver une liberté sereine. Nous avons eu la chance de totaliser 120 jours hors des sentiers battus. Dans la Caraïbe, rares sont les endroits où l'on bénéficie d'un archipel aussi peu fréquenté. En moyenne trois voiliers y font escale par semaine. L'archipel se trouve hors des routes des contrôles douaniers et des vicissitudes météorologiques, à l'abri de tout, presque de la mer elle-même, seul l'état de nos réserves alimentaires pouvait nous en extirper. Au début de notre escapade, la plénitude était si parfaite que nous vivions comme dans un livre. Puis nous en sommes sortis, pour goûter au bonheur en trois dimensions

Nous avons partagé avec la faune tous les cycles de la vie. De la naissance à la mort, de l'accouplement à l'éducation des petits, du combat contre leurs ennemis à la formation d'une société unie, de la quête de nourriture à l'entraide, elle nous a donné une leçon de vie.

Si en 342 avant J.-C. Epicure a créé son jardin, sachez qu'au vingt et unième siècle notre planète couve encore des oasis dignes du maître. Les usufruitiers en sont la faune et la flore. Mais leur détermination à vivre dans leur antre ne fait pas le poids contre l'insouciance humaine. La surpêche, le non-respect de la nature, dans tout ce que cette expression signifie, déséquilibre le milieu. Votre bonne volonté d'aujourd'hui préserve les bonheurs de demain. Pensez-y! Et vous vous direz que décidément :

"Elle est trop belle la vie!"

Amitiés marines
Nat et Dom de L'Etoile de Lune


Photo du mois

La jeune génération de pélican est plus sociable que celle des parents. Un pélican de quelques mois, que nous nommeront Victor, se laisse approcher. Il se prête à des séances de poses photo et vidéo sur la plage. Il viends nous rendre visite au bateau. A cette occasion, je me jette à l'eau pour le rejoindre...

 
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