Message 75 – écrit en septembre 2008
Nombres de milles parcourus : 11 932 milles
Nombre d'inscrits à la lettre du mois : 670
Zone de navigation : Panama-Colombie-ABC

"Qui a eu cette idée folle?"

"La patience est votre amie." Mimie


Info du mois
En visitant notre site, vous trouverez les détails nautiques et météorologiques relatifs à la route d'ouest en est entre Panama et les îles ABC sur le site en version téléchargeable. (format pdf)
Lien direct:
http://s121758490.onlinehome.fr/edl/meteo_abc_panama/index.html

Le capitaine vous a préparé un article concernant l'examen d'obtention de la licence de radio amateur.
Lien direct : http://s121758490.onlinehome.fr/edl/radioamateur/index.htm

Résumé du message
Après un séjour de plusieurs mois au sein de la communauté Kuna, il nous faut décider de l'endroit où nous passerons la saison cyclonique. Nous ciblons une des zones les plus sèches de la Caraïbe et planifions une navigation vers les îles ABC. Nous traversons le Golfe Darien, nous revenons sur Carthagène, puis de fenêtres météo rarissimes en vasistas à peine ouverts nous progressons lentement vers l'est. Après plusieurs mois passés en marge de nos repères occidentaux, nous rallions Aruba, île hollandaise aux infrastructures touristiques et commerciales développées. Mais avant ce retour à la civilisation, il nous faut accepter une expiation météorologique...

En fin de message vous trouverez :
L'astuce du mois : Planifier des vacances en Colombie avec Mathieu
La photo du mois : Arthur en a marre du vent!


Bonjour,

"Qui a eu cette idée folle?" Pourquoi s'embarquer dans une telle galère? Pour comprendre la vie, il faut toujours replacer chaque événement dans son contexte. Nous sommes chez les Kunas, dans le fin fond du Golfe Darien. La saison des orages, approche. Dès le mois d'avril, le ciel se charge de gros cumulonimbus. La saison est précoce cette année, le14 avril, nous voyons les premiers orages passer au large de la barrière de corail qui protège les îles des San Blas. Nos prédécesseurs nous ont prévenus : "ne restez pas dans la zone entre mai et novembre, les orages sont présents quotidiennement, les bateaux qui s'en sortent sans prendre la foudre sont rares."

Nous n'avons pas trop envie de jouer l'électronique du bord à la roulette des tours de foudre. De plus, les jours de soleil deviennent de plus en plus rares. Un rapide tour d'horizon des régions environnantes nous laisse trois solutions.

La première est de s'avancer dans l'ouest et de traverser le canal de Panama. Partir et s'élancer, toutes voiles dehors, vers le grand océan Pacifique. Le projet est au programme de la boucle. www.prosperaim.frUne dizaine de bateaux copains se préparent à cette traversée et nous écrivent régulièrement pour nous décider à les suivre. Mais le sentiment de n'avoir pas tout cerné est trop lourd. Nous sommes réellement partagés entre une envie d'élargissement et un désir d'approfondissement. Partir vers l'ouest est synonyme de croisière au rythme soutenu. L'océan Pacifique ne laisse aucune chance à ceux qui aiment musarder. Le rythme des saisons, le manque d'abri en saison cyclonique et surtout, des règlementations absurdes ne nous tentent pas. Il faut savoir qu'un bateau français arrivant en Polynésie française est considéré comme un bateau étranger. Il a droit à rester 12 mois dans la zone. S'il veut jouer les prolongations, il faut régler des droits de « papeetisation ». Des droits injustes et exorbitants qui sont hors de portée de la bourse de la plupart des navigateurs. En effet, il faut glisser une trentaine de pour cent de la valeur du bateau dans l'escarcelle de l'état. Nous ne pouvons nous le permettre et nous sommes pas encore décidés à mettre le turbo à notre étoile. Cette route sera suivie plus tard.

Une deuxième solution est de monter au Guatemala. Solution de plus en plus en vogue dans la flottille des navigateurs soucieux d'échapper en mer des Caraïbes à la saison cyclonique. Il suffit de remonter avec le courant le long des côtes du Nicaragua et du Honduras, puis de s'enfoncer dans le Rio Dulce. Cette mise en quarantaine de la mer s'éternise entre le mois de mai et le mois de décembre. Six mois, dans un océan de forêt tropicale au coeur de la culture guatémaltèque. Il y en a des choses à faire dans ces contrées... Mais, c'est trop de verdure, trop d'humidité, ... Et en plus, les pirates sont de plus en plus alertes. Cette année, plusieurs bateaux ont eu la visite d'hommes armés montant à bord. Sans avoir été au préalable invités, ils s'emparent de toute richesse flottante disponible. Le matériel n'est pas seul à disparaître, ils emportent aussi le rêve, l'évasion, le voyage et parfois même les vies. Cet été, le bilan est lourd pour les navigateurs, outre le nombre croissant d'attaques traumatisantes, deux Américains ont été blessés mortellement au cours d'une de ces visites impromptues. Non merci!

Il ne reste donc plus qu'une solution pour échapper au climat du Golfe Darien : rebrousser chemin. Aller retrouver les paisibles et sécurisées îles des ABC et leur climat à la limite des phénomènes cycloniques.

Les premières étapes se passent comme un charme. Nous retrouvons Sapzurro, les glaces artisanales de Myriam, une livraison de fruits et légumes frais qui nous fait défaut depuis 3 mois. Alfredo nous propose de nous conduire à la ville voisine. Nous découvrons Capurgana. Il n'y a pas de route, seules les lanchas font le lien entre les deux villages. Dans le sud de Spazurro, la petite ville touristique de Capurgana offre un repère pour amoureux de tranquillité et de bout du monde relativement civilisé. Dans les boutiques de souvenirs, nous retrouvons ces chers mollas. Il est vrai que le premier village Kuna n'est qu'à une quinzaine de milles d'ici. Cependant, je doute que ces villages traditionnels soient les pourvoyeurs de ce qui se vend à Capurgana. En effet, ici, les mollas sont complètement démystifiés! Déclinés en sacs à main, en chaussures, en casquette, porte feuille... La dérive est si caricaturale, voire grotesque, qu'on penserait à une mondialisation du molla.

Quel choc! Le souvenir des petites vieilles assises au bord de leur hutte en train coudre est vivace dans nos esprits. Leur production coûte des heures voire des journées de travail et voici le symbole de leur culture complètement galvaudé, mal fini, travaillé à la machine, sans âme, vide de sens. Ainsi en va-t-il de l'évolution de l'homme? Je repense à notre difficulté d'insertion au sein du peuple kuna. Nos tout premiers pas dans ces villages où nous nous sentions si mal accueillis, regardés, épiés, presque dénoncés au Sahila pour nos infamies... Je comprends à quel point nous représentons un danger pour leur culture. Les Kunas ont su repousser tous les envahisseurs. Les conquistadors espagnols n'en sont pas venus à bout. Les Américains du canal ont protégé leur culture. Aujourd'hui, le tourisme de masse menace les fondements de leur culture. Au nom du Dieu Dollar, ils sont prêts à vendre n'importe quoi. Je comprends aujourd'hui certains sahilas qui ferment leur village et qui imposent leur conservatisme aigu à leurs ouailles. Je comprends d'autant plus l'acharnement de Roy ou d'Alek à défendre ce qu'il reste de la tradition kuna.(voir message n°74)

Nous ne nous attardons pas trop longtemps dans les parages. Non, que nous nous lassions de l'atmosphère bucolique de Sapzurro, mais les habitants, nous préviennent : le mois de mai approche et les risques de tornades augmentent. La météo que Jean-Yves du réseau du Capitaine nous donne est clémente. Nous profitons de la pleine lune et de vents de Nord-Nord-Ouest pour monter en 24 heures et d'un seul bord sur San Bernardo. La tranquillité de l'archipel nous cueille au passage, l'eau émeraude, la vie simple au bord de la cocoteraie, nous laisse une dizaine de jours dans l'extase. Puis, un jour le vent de Sud-Ouest se lève, nous avons droit à notre premier orage. Il met le mouillage sens dessus dessous. Il tourne notre étrave vers le large et fait reculer notre Etoile vers la plage. Premier avertissement, la saison s'installe...

A la suite de cette incartade, les vents se rétablissent, faibles et le 2 mai, nous montons jusqu'à Carthagène. Nous pensons n'y rester que quelques jours, le temps d'effectuer les formalités et de repartir. Mais la fenêtre météo se referme. Au large de Baranquilla, la mer se creuse et le vent s'établit autour de 30 noeuds. Nous devons patienter. Barranquilla est un passage difficile, effet de cap, effet de courant, effet de fleuve, remontées des fonds, ... Toutes les conditions sont réunies pour nous compliquer la vie. Nous y avons goûté par vents portants en décembre, nous devons être patients et soigner notre météo pour le franchir avec le moins de mer possible, car forcément nous aurons le vent dans le nez!

En attendant, nous reprenons nos petites habitudes à Carthagène. Carmen, la gentille Carmen, me donne ma leçon d'espagnol quotidienne. Nous ne lésinons pas sur l'aspect culinaire. Dom m'entraîne chaque midi chez "crêpes et waffles", après 5 mois passés chez les Kunas où nous ne trouvions que cocos et poissons, nous nous remplumons à coup de glaces, chantilly, chocolat chaud, crêpes farcies sucrées et salées... On profiiiiiiiite!!!

Le 19 mai, Jean-Yves du réseau du capitaine nous trouve une belle fenêtre météo. Malheureusement, les formalités de douanes ne se font pas en un clin d'oeil et nous perdons 24 précieuses heures. Nous partons le 20 mai, la navigation jusqu'à Baranquilla est paisible, au moteur, sans difficulté. Par contre à 5 milles de Baranquilla, nous regrettons les 24 heures perdues. La mer change de couleur. A cause des pluies estivales, le fleuve charrie d'énormes déchets. La mer se charge d'une haie ininterrompue de troncs d'arbres, comme si ces obstacles ne suffisaient pas, la mer se lève. Des vagues de 2 à 3 mètres d'une fréquence extrêmement courte nous barrent la route. Le vent s'établit à 26 noeuds. Ca décape les moustaches! Heureusement, la barrière de troncs d'arbres s'éclaircit peu à peu, mais elle laisse la place à des bouées fluorescentes qui trahissent la présence de filets de pêche. Nous poursuivons notre rodéo insensé, dans moins de 10 mètres d'eau. Vraiment l'embouchure de fleuve Magdaléna, qu'on la passe au large ou près de la côte reste un coin infréquentable!

Une profondeur d'eau raisonnable réapparaît au sondeur. Nous gardons un vent établi autour de 23 noeuds et une mer moins abrupte. Nous parvenons à maintenir un cap suffisant pour gagner dans l'est. Une nuit de navigation à ce rythme nous conduit en face de Guairaca. Au petit matin, le vent se lève et flirte avec les 35 noeuds sans le moindre angle possible de progression. Nous relâchons dans la baie de Reynaldo. Vous vous souvenez de ce monsieur qui nous faisait visiter les sites précolombiens du fond de son jardin en décembre? (Message 68) A l'instant où nous pénétrons dans la baie protégée, il reconnaît notre Etoile. Il monte aussitôt dans sa barque et vient nous rejoindre à la rame. Nous l'accueillons dans notre cockpit. Chacun est heureux de raconter les événements qui ont marqué les vies respectives pendant ces mois passés. Toujours curieux des autres, il nous pose un millier de questions sur les Kunas, qu'il ne connaît pas. Quel Monsieur, nous l'aimons autant qu'un grand-père!

Le 24 mai à midi, Jean-Yves nous envoie un mail laconique : "vents plus calmes jusqu'au 25 au soir." Nous ne prenons pas le temps de faire nos adieux, la mer qui au matin était blanche, s'est calmée, le vent qui soufflait depuis notre arrivée autour de 35 noeuds, semble aussi plus clément. Nous gréons rapidement le foc et nous levons l'ancre pour partir sur notre dernière escale colombienne : Cabo de Vela.

Vingt-neuf heures d'une navigation sans problème nous mènent à bon port. Jean-Yves nous suggère de continuer. Mais, le vent annoncé pour le lendemain est en avance sur son rendez-vous. Les dernières heures de navigation nous font progresser laborieusement dans l'est. Le courant qui est l'un des handicaps majeurs du Cabo de Vela nous vole deux noeuds à notre vitesse de croisière. Nous relâchons donc à Cabo de Vela, espérant qu'une autre fenêtre météo s'ouvre rapidement pour nous permettre de rallier les îles hollandaises des ABC. Nous nous disons qu'il suffit d'attendre une dizaine de jours... Deux semaines... voire trois au pire. Nos espoirs sont fondés sur l'expérience d'amis qui sont passés l'an dernier en été. Les instructions nautiques nous disent aussi qu'à partir du mois de mai les alizés sont moins forts dans la région. Nous attendrons donc l'ouverture météo et il nous suffira alors de border les voiles et en avant pour les 200 milles qu'il reste à parcourir!

Douces illusions! Tout ceci ne tient pas compte d'une petite phrase que les Indiens autochtones, les Wayuus aiment à répéter : "Siempre Brisa" (toujours de la brise) En relâchant à Cabo de Vela nous pénétrons involontairement dans une prison de vent.

Notre séjour s'étire au même rythme que l'anticyclone de l'Atlantique. Celui-ci allonge, sans nous demander notre avis, de belles dorsales dans la mer des Caraïbes. Celles-ci accélèrent les alizés qui nous empêchent de progresser dans l'est. Dès le 26 mai, lendemain de notre arrivée, les cartes météo n'en démordent pas. Elles annoncent en moyenne 30 noeuds de vent et des vagues qui dépassent 10 pieds (3 mètres). Elles atteindront sans vergogne 24 pieds. La hauteur n'est pas si handicapante, c'est la fréquence des vagues qui est gênante. Celle-ci est extrêmement courte, nous n'obtenons pas plus de 4 à 6 secondes entre deux vagues. Cela forme une mer courte, cassante, des murs à pic qui ne peuvent être franchis que dans la douleur. Les rêves d'alizés s'émoussent. On les croit doux et agréables, tamisant l'air des cocotiers. Ici, ils sont intraitables, forts en rafales, levant une mer qui fait marsouiner notre étoile dans une vague qui monte sur le pont et nous empêche d'ouvrir les hublots. Un calvaire qui ne s'arrête jamais!

Voici donc l'organisation d'une journée à Cabo de Vela en période d'alizés fous. Le matin, tôt observation du plan d'eau. Si aucun pêcheur n'est à l'ouvrage, si nous ne percevons qu'à perte de vue des vagues d'écume, si en position debout nous sautons et nous nous cognons partout dans le bateau, si le vent fou siffle dans les haubans, si les vagues abruptes et sauvages envoient des embruns partout à l'intérieur du bateau, il faut se résigner à fermer les hublots et se résoudre à trouver dans l'atmosphère confinée de notre Etoile des activités qui peuvent s'effectuer en position assise ou couchée. Dans ces journées-là, l'alizé annoncé fort et appuyé par un effet thermique avoisine aux heures les plus chaudes les 40 noeuds soutenus. Je ne vous parlerai pas des rafales, j'en démoraliserais plus d'un! Le soir, au coucher, il retombe aux environs de 25 noeuds, puis s'établit à nouveau autour de 30 noeuds pendant la nuit. Ces journées ont été légion pendant notre attente de 41 jours à Cabo de Vela.

Par conte, l'orientation du vent a parfois joué en notre faveur. Lorsque l'alizé vient plus du nord que de l'est, il est atténué par les collines de Cabo de Vela. Dans ces conditions, un calme relatif s'installe, les pêcheurs partent sur l'eau vers 1 heure du matin. Là, tout est presque serein. Par contre, ils doivent impérativement être rentrés avant 10 heures du matin, car l'effet thermique reprend avant la mi-journée. Tous les pêcheurs de Cabo de Vela ne sont pas motorisés. Ceux qui ne possèdent qu'une rame sont évidemment très pénalisés par ce régime d'alizés soutenus. Nous en avons vu se débattre comme des diables dans la brise. Jamais nous ne nous sommes sentis si impuissants. Notre annexe avec ses 8 chevaux ne parvenait pas à remonter au vent sur le plan d'eau. Quant à notre Etoile, nous avons tenté une fois de lever l'ancre, pour avancer contre le vent, lorsque le bateau se met travers au vent, plus question de le replacer bout au vent et la dérive est assurée pour plusieurs dizaines de mètres en quelques secondes! Nous sommes littéralement dans l'incapacité de les aider. C'est une sensation horrible que d'être simples témoins de cette vie, sans choix, soumise aux éléments despotes !

Et puis, il y a ces jours, où le matin calme augure d'une bonne pêche, mais sans prévenir, le vent tourne au sud-est, en quelques minutes le plan d'eau qui était praticable devient un véritable chaudron de sorcière, le vent de face empêche les pêcheurs de rentrer. Heureusement, il existe une solidarité entre eux et plus d'une fois nous avons vu les pêcheurs fortement motorisés se porter au secours des démunis. Parfois le coup de vent était si fort et si subi qu'ils étaient obligés de laisser la barque du pêcheur au large et de ne ramener que les hommes et leur production. La perte de leur barque est un drame incalculable, c'est leur seule richesse!

Quelle vie... Quelle détresse ! La terre ne leur offre rien que du sable qui s'élève en nuages et qui colle partout. La mer est plus généreuse, mais le vent les empêche d'aller y trouver leur subsistance. Après ces quelques mois passés chez les Kunas je ne peux m'empêcher une comparaison. Ce que nous vivons avec les Indiens Wayuus chaque jour m'entraîne à comprendre toute la différence entre ces deux peuples.

Les Kunas et les Wayuus sont deux communautés qui ont survécu au joug espagnol lors des conquêtes du quinzième siècle. Les Kunas pourraient de prime abord paraître pauvres aux yeux des Occidentaux que nous sommes. Lorsque nous voyons leur hutte, l'inconfort relatif, l'inexistence de technologie, nous pensons au mot : dénuement. Est-ce justifié? J'avoue que je n'en sais rien. La seule chose que je sais, c'est qu'ils ont tout ce qui leur est nécessaire. La forêt leur offre contre un labeur raisonnable des fruits, des légumes et du gibier. La mer leur donne le poisson, les crabes et les langoustes. La coco est une monnaie d'échange qui leur apporte des devises. De toute façon, sans aucun apport extérieur, il est impossible de mourir de faim en pays kuna. Evidemment, aujourd'hui, ils rêvent sans doute d'accéder à cette technologie occidentale. Les rendra-t-elle plus heureux? C'est une autre question.

A Cabo de Vela, la communauté d'Indiens Wayuus représente moins d'un millier de familles. Les Wayuus sont les descendants des "Guajiros". "Los Guajiros" sont les frères linguistiques des Arawaks, peuple amérindien qui s'éparpillait avant la colonisation hispanique entre le Brésil, le Pérou, le Venezuela, et les îles de petites Antilles. La province de Guajira a gardé le nom de ses premiers habitants. Elle est peuplée depuis plus de 7000 ans. Les Wayuus ont été les premiers indigènes à s'intégrer aux "moeurs économiques" de l'envahisseur espagnol. Tout en préservant leur langue et leurs traditions sociales et culturelles, ils ont su s'adapter aux nouvelles donnes économiques occidentales. Raison sans doute de leur survie malgré la colonisation espagnole. Aujourd'hui encore, ils perpétuent leur tradition oralement. Si les conquistadores ne sont pas parvenus à disséminer les Indiens Wayuus, on se demande néanmoins comment ils ont fait pour survivre dans de telles conditions. Pays de cocagne qui n'a rien à leur offrir que la misère. Les familles de 10 enfants ne sont pas rares, la faim rôde et se manifeste dans les ventres trop ronds des enfants. Seule possibilité d'acquérir quelques dollars : la vente de la pêche et le tissage. Depuis la nuit des temps, le tissage est dans leur tradition. Les femmes ne vont pas à la pêche, elles passent leur temps à broder des sacs, les "mochilas" et des bracelets. Pour une bouchée de pain, elles vendent le produit de leur art. Ici les mots "dénuement" et "détresse humaine" prennent un sens que je n'aurais sans doute jamais voulu comprendre.

La région tente de sortir la tête du marasme et une corporation touristique s'est établie autour de Cabo de Vela. Des maisonnettes de paille attendent les touristes. Les "rancherias" offrent des séjours à l'aune de la vie simple de la Guajira. Une hutte, des hamacs, lavage et rinçage à l'eau de mer, commodités inexistantes. Les touristes viennent de Bogota, de Baranquilla, de Carthagène, de Riohacha. Nous avons même croisé un couple qui venait du fin fond des Llanos, preuve que les Colombiens recommencent à se déplacer dans leur pays et que le risque d'enlèvement que fait peser les FARC est moins important d'année en année quoiqu’encore présent. La Guajira obtient un succès croissant d'année en année. Elle présente l'intérêt d'être en été la seule région sèche de toute la Colombie. Le vent, qui empêche les pêcheurs de pêcher et les marins de progresser, assèche l'air et prodigue un soleil indéfectible. Gageons qu'il devienne à terme le slogan de la région et qu'il lui apporte prospérité.

Actuellement, le développement touristique ne sauve pas encore la région de la misère. Les déshérités sont encore trop nombreux. Les regards fermés, les gestes de mendicités en disent long sur la situation de ce peuple traditionnellement fier et courageux. Vous me direz qu'un désert de vent a peu, si peu, à offrir sur le plan touristique et qu'il n'est pas surprenant qu'un tel endroit reste en dehors des sentiers battus. Pourtant, pour ceux qui viennent par la terre, la brise est rafraîchissante, l'espace ne manque pas et Cabo de Vela représente une région privilégiée pour les amoureux de randonnées pédestres. La topographie des lieux est unique. De baies désertes en falaises vertigineuses, de collines aux diversités chromatiques étonnantes en rencontres endémiques elle fera passer de belles vacances aux amateurs d'extrême, de kitesurf et de planche à voile. La Guajira, terre de contrastes et de couleurs, accueille des animaux étranges telles ces sauterelles de plus de 15 centimètres de long orange et verte. Nous côtoyons aussi des reptiles inoffensifs. L'un d'entre eux nous fascine par sa couleur vive. Pourquoi la nature a-t-elle peint un lézard bleu électrique? Ici, il y a fort à faire pour les curieux de la nature.

Certains pêcheurs ont compris l'enjeu de la région et convertissent, les jours de calmes relatifs, leur barque en véhicule touristique. C'est pourquoi Antonio nous aborde un jour. Il a promis à une jeune touriste qu'elle pourrait faire des photos de notre bateau. Celle-ci non contente de le voir de l'extérieur, aborde tout sourire mon capitaine et s'accroche aux filières. Son corps parle pour elle, des formes généreuses et des yeux qui battent autant que les ailes d'un papillon expriment une envie irrépressible de se faire prendre en photo sur notre pont. En quelques secondes me voici à photographier Patricia qui sans doute avait trop chaud, car elle ôte son paréo à troutrous pour ne plus laisser qu'un petit "rikiki bikini" sur elle. Poses en tout genre, et voici notre belle Colombienne qui finit la séance, allongée sur la table en pose suggestive... Puis... elle s'envole.

Patricia, ne sera pas la seule à être attirée par notre Etoile. Quelques jours plus tard, nous avons la visite-surprise des grosses chaussures des gardes-côte. Très gentils, aimables, mais aussi très mouillés! Ils viennent de Puerto Bolivar à 10 milles de Cabo de Vela. Les paquets de mer emmagasinés au large les ont détrempés. Ils ont été obligés de mettre des masques étanches sur les visages. Ces garçons masqués et armés jusqu'aux dents nous demandent s'ils peuvent monter à bord. Dans le cadre de la lutte antidrogue, nous avons droit à une fouille minutieuse de 2 longues heures. Désordre assuré de notre côté et de leur côté surprise de trouver à bord la "tienda" la mieux achalandée du coin. Ils ont mis sens dessus dessous, la réserve de pièces détachées du capitaine, les produits et diverses conserves d'alimentation, les vêtements et la lingerie. A l'aune du désordre, des liens intimes commencent à se créer et j'ose une petite question qui me tarabuste. Je leur demande s'ils n'ont pas un chien pour effectuer ce travail. En effet, c'est beaucoup plus efficace pour ce qu'ils cherchent... Le chercheur aux gants mouillés a bel et bien une labrador, mais à cause des conditions de mer (10 pieds, 5 secondes et 3 barbules et demi de vent) mademoiselle quatre pattes est "un poco enferma"... Malade en mer! Cette chienne est comme moi, elle n'apprécie pas les barbules sur les cartes météo. Comme quoi, entre "bêtes" on se comprend toujours... (NDLR Les barbules sont des indices de vents des cartes météo. Une grande barbule pour 10 noeuds de vent, une demi-barbule pour 5 noeuds de vent)

Fait étonnant de cette visite, les gardes-côte n'ont pas tenu compte du fait que nous étions illégalement sur le territoire colombien. En effet, nous avions effectué la sortie à Carthagène le 19 mai et leur visite a lieu le 1 juillet. Au contraire, ils nous découragent de prendre la mer. Leur seul souci est notre sécurité. Leurs 3 moteurs de 250 chevaux suffisent à peine à étaler le vent et le courant pour leur retour sur Puerto Bolivar, vous imaginez ce que donneraient nos 50 chevaux dans ce bouillon, quant à tirer des bords à la voile, il y aurait de quoi tout détruire à bord!

A vrai dire, si nous pensons à nous occuper dans cette longue attente, nous perdons parfois espoir. Les cartes météo prises chaque jour ne nous annoncent rien de bon. Quarante jours dans le désert, ça ne vous fait penser à rien? Va-ton finir fossilisés dans le désert de la Guajira?. Le sable prend littéralement possession de toutes les forces vives de notre Etoile. De la tête du mât au pont en passant par tout le gréement et l'intérieur du bateau, chaque hauban, chaque bout est enrobé de sable roux et collant du désert. Pendant tout ce temps, un seul autre voilier est venu de l'ouest. Il a tenté de passer le cap. Au bout de 4 heures de navigation à batailler contre les vents et les courants, il est revenu à l'ancre à Cabo de Vela. Le lendemain, il repartait d'où il était venu et mettait cap à l'ouest. Nous passons les dix derniers jours d'escale à Cabo de Vela, confinés dans le bateau. Le vent a tourné au sud-est, le pire cas de figure pour Cabo de Vela. Le fetch est si long que la mer se reforme, nous ne sommes plus abrités de rien. Impossible de descendre à terre!

Enfin, au quarante et unième jour, le 5 juillet, une accalmie est annoncée, pour quelques heures. Nous en profitons pour lever l'ancre. Nous parcourons 30 milles en 10 heures. (l'équivalent de 60 kilomètres). Le vent se lève à mi-parcours, nous ne progressons plus qu'à une vitesse de 1 noeud (1852 mètres à l'heure!). Le Cabo de las Galinas est infranchissable aujourd'hui nous sommes forcés de nous arrêter à Bahia Honda. Ce mouillage nous met en position précaire. Nous ne pouvons absolument plus descendre à terre. Nous y vivons les huit derniers jours de notre séjour colombien dans des conditions innommables d'inconfort. C'est la première fois qu'au mouillage, les vagues sont si fortes, qu'elles montent sur le pont et entrent dans le bateau lorsque nous avons le malheur d'entre-ouvrir les capots. Pour donner une simple idée des forces en puissance. Le vent est parvenu à déchirer notre taud de protection de foc. Il a décousu les coutures des cagnards, arraché l'antenne VHF. Le vent combiné aux remous a tordu notre ancre britanny qui pourtant avait résisté au cyclone Emily.

Heureusement, une « fenêtre météo », s'ouvre le 14 juillet. Elle est plus que mince, elle est anorexique! Nous sautons pourtant sur l'occasion. Nous avons droit à 20/25 noeuds de vent debout. La patience et de nombreux virements de bord nous amènent en 60 heures à Aruba. Nous relâchons dans la première des îles hollandaises tandis qu'un avis de tempête met en alerte précyclonique Bonnaire, Curaçao et Aruba.

Cet avis nous pousse à mettre notre Etoile à l'abri. La marina Renaissance dans l'ouest d'Aruba nous accueille dans un recoin protégé. Pour la première fois depuis 55 jours, L'Etoile de Lune cesse de danser. Mon premier acte civilisé est de me connecter sur Internet et de commander des billets d'avion pour rentrer au pays. Aller serrer très fort la famille et les amis là-bas en France était la seule pensée qui m'a permis d'endurer les 20 derniers jours sans mettre pied à terre. Puis, la marina nous offre des invitations à profiter gratuitement des piscines, des saunas, des salles de gymnastique des deux hôtels dont dépend la marina. En une poignée de secondes, nous replongeons dans la civilisation. Nous renouons avec des repères occidentaux. Nous avons tout bonnement l'impression d'atterrir ailleurs, peut-être sur une autre planète ?

Amitiés marines
Nat et Dom de L'Étoile de Lune


Planifier des vacances en Colombie avec Mathieu

Jamais astuce n'aura été si courte. Nous communiquons aux candidats aux vacances en Colombie une adresse incontournable. A Carthagène, un jeune français a créé une agence touristique. Il propose avec toute l'inventivité de sa jeunesse des randonnées et des tours dans ce pays qui est devenu sa passion.

Contact à : aventurecolombia@gmail.com


PHOTO DU MOIS
Arthur en a marre du vent!

Arthur en a marre du vent. Il cherche à faire la sieste ! Sa petite houppette blanche sur le haut de la tête trahit son jeune âge. Tout naturellement, il atterrit sur L'Etoile de Lune. Il trafique partout dans le cockpit, il picore les tauds, il mordille le linge qui sèche, il râle après les bouts qui encombrent le passage. Rebelle à l'autorité du capitaine, Arthur ose le provoquer en duel.


Texte écrit par Nathalie Cathala et mis en page par Dominique Cathala en septembre 2008 - Tous droits réservés
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