Lettre de voyage 105– écrite en octobre 2012
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Récit : TANNA Vanuatu
"Il n'existe pas une seule façon de voir le monde. Une pensée unique. Une émotion universelle. Chaque bout de notre belle planète possède ses propres modes de fonctionnements. Et même si, l'humanité partage de grandes similitudes, chaque peuple a pensé sa Terre à l'aune de ce qu'il vit, de ce qu'il a expérimenté, et de ce qui l'attend." Nathalie Cathala
EN FIN DE MESSAGE :
Photos du mois :
Pays de la débrouille (boucherie, pompe à essence).
Pays volcanique et de traditions.
Une réflexion inspirée par le voyage, clin d'oeil aux générations futures.
Résumé
Le coeur chaud de Tanna... |
On ne montre de Tanna, l'une des îles les "plus touristiques" du Vanuatu, que le volcan, et peut-être quelques visages peints de jeunes filles spécialement présentées pour les visiteurs. Les touristes venant de Nouvelle-Zélande, ou d'Australie, ne restent en général que 24 heures, voire moins. Autant dire que le volcan est la plus grosse entrée au "box-office touristique" de Tanna. Atterrir, voir le volcan, et décoller. Voilà à quoi se résume la visite de cette île. Ceux qui arrivent par bateau logent à Port Résolution. Ils ont un peu plus de chance à condition que le temps le permette, car la baie sur la face Est et très ouverte peut se révéler houleuse. Mais depuis Port Resolution, les marins trouvent le moyen de visiter le volcan, de faire de belles balades et de traverser l'île de part en part pour effectuer les formalités à Lenakel. Nous avons choisi une autre solution et avons trouvé une famille prête à nous héberger dans sa montagne du "middle bush", au centre de l'île. Nous avons trouvé en Iso, Rachel et toute la famille Kapum, de véritables bonnes âmes et sans eux, nous n'aurions pas ce souvenir ébloui de Tanna. Qui est élue au rang de "notre chouchou" du Vanuatu. Partir du Vanuatu sans voir... que dis-je(?) sans vivre Tanna, aurait été une grosse erreur de notre part!
Bonjour,
Accueil en sourire |
En arrivant à Tanna, c'est Rex, le cousin d'Iso, chef du clan Kapum qui vient nous chercher à l'aéroport. Avant d'atteindre le plateau du "Middle bush" nous passons par Lenakel où nous faisons les courses avec la famille. Je signale que Lenakel est "LA ville" de Tanna. Pourtant, les rues en terre battue, les enfants qui jouent sur la plage, les hommes qui ramassent le sable pour consolider leur maison donnent une allure champêtre à Lenakel. Seul le marché bâtit en béton, ainsi que quelques maisons et des panneaux indicateurs marquent la différence avec le "bush" (la brousse). Un détail : ne cherchez pas de transport public, vous perdriez votre temps. Les quelques heureux propriétaires de véhicules tout terrain chargent, sur le plateau arrière, les cousins, voisins, et quelques visiteurs qui auraient été oubliés par leurs hôtes".
A Lenakel, Rex, nous présente le boucher qui découpe avec ferveur un boeuf fraîchement tué. Il se présente comme le cousin d'Iso. Je ne vous raconte pas le nombre de cousins d'Iso que nous rencontrons. La famille Kapum jouit d'une belle renommée, et nous comprendrons d'autant plus la raison à l'aune de la grandeur de son territoire... En attendant, nous découvrons le travail de boucherie à Tanna. La bête ouverte sur un tréteau recouvert d'une bâche en plastique se voit retirer petit bout par petit bout à coups de hache. Je suis surprise, cela ne sent pas la viande qui traîne dans la chaleur, pas de mouches non plus. L'odeur est plutôt agréable, beaucoup plus que la vision. Le cousin d'Iso, amusé par mon regard, me rassure et précise que la viande qui nous est destinée pour le repas est déjà coupée :"de beaux filets!". ( Traître de regard ! Faux témoin de vieilles faiblesses trop occidentales! La prochaine fois que je le retrouverai dans le miroir, je vais lui dire deux mots!)
Maison de village |
L'essentiel est que sur l'île personne ne meurt de faim. Les enfants ont partout de beaux sourires et des yeux lumineux. C'est notre baromètre préféré pour le bien-être d'un peuple. Tout le monde possède son bout de jardin qui nourrit sa famille. Et plus rarement des grandes familles possèdent des dizaines d'hectares de "bush" comprenant la montagne fertile, des rivières, des cascades, et des plages à perte de vue!" C'est le cas d'Iso. Sa richesse est sa terre! Et son trésor est sa famille! Tous les membres d'un même clan sont solidaires à un point qu'on ne peut imaginer. L'entraide est un mot qui trouve ici tout son sens.
Une richesse non monnayable!
Enfants de Tanna |
L'île de Tanna se situe au sud de l'archipel du Vanuatu à 200 kilomètres de Efaté, l'île principale, soit à une heure d'avion. Elle s'étend sur 40 km de long et environ 10 km de large dans sa partie nord et 20 km de large dans sa moitié sud. Un tout petit monde situé entre les latitudes 19°19S et 19°39S et les longitudes 169°13est et 169°30 est. Un tout petit monde à l'aune de ses mensurations, mais une terre très vaste lorsqu'il s'agit de se déplacer en voiture. Peu importe, l'état des routes ! Celui-ci nous oblige à cheminer à l'allure d'escargots en vacances et nous permet d'apprécier tous les atours de l'île.
Sommet volcanique de Tanna |
Il existe cinq langues vernaculaires sur Tanna. La tribu d'Iso utilise le nata, langue proche du naka et du nara. Voilà trois groupes linguistiques qui se comprennent dans le centre et le nord de l'île. Dans le sud, le naha est la langue privilégiée et trop éloignée sémantiquement des 3 premières pour se comprendre entre elles. Du coup, il existe sur cette île de 570 kilomètres carrés, une cinquième langue vernaculaire, le na, qui est selon Iso la "Island Trading language", la langue de tractation, de palabres. Et... nous avons pu remarquer à quel point le "palabre" était sur l'île une activité aussi intense que celle du volcan. Mon Dieu qu'ils causent! Avec les étrangers, les habitants utilisent l'anglais, mais également le français et le bichlamar. Tout cela fait de nos amis de parfaits polyglottes depuis leur plus tendre enfance!
Chez notre ami Iso à Loaneaï |
Il nous explique qu'il n'est pas intéressé par la vente de sa terre, mais par son utilisation. Il aimerait que des gens de confiance bâtissent leur maison et qu'ils emploient aux travaux de jardin, d'entretien... la famille. C'est un bon deal! Quelle vue! C'est tentant comme proposition!
Immense domaine préservé de Iso |
Les générations actuelles ont recours au droit constitutionnel, pour couper court aux querelles de clans qui autrefois engendraient des guerres sanglantes. La terre revêt aux yeux des insulaires une importance cruciale. Elle nourrit les familles, elle est part intégrante de la survie de chacun. Sans terre, on ne vit pas. Ce n'est sans doute pas un hasard, si lors de la seconde expédition de Cook, Forester demandant comment s'appelait l'île aux indigènes, a reçu comme réponse "Tanna". Tanna est le mot commun à toute l'île pour désigner non pas son nom, mais sa terre, le sol où le fondement même de la culture insulaire. Autour de ces valeurs foncières, la tradition reste, encore aujourd'hui très forte. Les lois constitutionnelles protègent les familles, certes, mais elles ne le feront jamais sans le renfort de la coutume et du respect des chefs.
Réunion de chefs à Lenaken |
Fait remarquable, la société du sud de l'archipel, contrairement à celle du Nord, est culturellement hiérarchisée, mais elle est économiquement égalitaire. A Tanna chaque famille est un producteur autonome qui ne doit rien aux "chefs" contrairement aux sociétés du nord, où les chefs selon leur grade sont en droit d'exiger de leur villageois une sorte de dîme, sous forme de travail, de produit de récolte ou de cochons...
Tanna est donc divisée en divers territoires, constitués d'un réseau de places cérémonielles matérialisant les chemins d'alliance entre les clans. Le ciment de cette communauté s'exprime dans les cérémonies qui égrainent la vie de Tanna. Nous avons de la chance pendant notre séjour, l'une d'elles a lieu dans le cercle des phratries du clan d'Iso. Celui-ci nous explique que nous allons assister à l'expérience de notre vie et que ce à quoi nous allons assister n'est pas fait pour les "touristes".
Enfants à la fête de Lenaken |
J'échappe de justesse au maquillage traditionnel et au costume dont veut me vêtir notre famille d'accueil. Les femmes vêtues de pagnes teintés au naturel (quel travail!) ont le visage peint de couleurs psychédéliques que leur fournit l'argile de leur terre volcanique. Les cheveux sont plantés de plumes colorées. Et au passage, la petite Belinda, sous l'oeil bienveillant de sa maman, m'offre une plume qui pour moi devient un véritable "trophée".
Nous apprenons les us et coutumes au fur et à mesure des prémices du cérémonial.
Maquillages et ornements traditionnels |
Enfants à la cérémonie de circoncision |
Le principe du don est le suivant : la famille du père du circoncis offre à la famille de la mère le plus de présent possible. L'année de circoncision est donc déterminée par la capacité de la famille côté paternel à accumuler les richesses qui vont basculer dans le clan de famille côté maternel. Ceci dans le but de sceller des alliances territoriales.
Pour nous, pauvres "Occidentaux" non initiés ce genre de cérémonie, est une leçon de tolérance et de remise à niveau de nos valeurs.
Sacrifice de cochons |
Déjà les enfants reviennent du bush.
Enfant de retour dans sa famille |
Puis, le silence se rompt, les enfants retrouvent leurs mères. Ils arborent dès lors un vrai regard d'enfant avec la sucette que leur tendent les femmes du clan. Les hommes frappent des mains se réunissent au centre de tout, entouré des femmes, qui bondissent au son des claquements de main des hommes. Ils chantent et font trembler la terre à chacun de leurs sauts.
Emotion immaîtrisable pour l'étranger que nous sommes!
Une leçon de vie.
Une autre leçon est celle de vivre avec le présent. Celle de penser que demain tout peut basculer et qu'il ne sert à rien de s'attacher désespérément à ce que l'on possède. Sur Tanna l'avenir est incertain, le volcan Yassur est là tous les jours pour rappeler aux habitants que le futur peut être désintégré par une irruption plus forte que les autres.
Le mont Yasur, volcan actif |
De jour le bruit, la cendre et les gros nuages font effet. Mais c'est la nuit qu'il est le plus spectaculaire. Nous sommes aidés par Mademoiselle La Pleine Lune dans nos "expéditions". Dès le crépuscule, chaque éruption est le théâtre d'un véritable feu d'artifice. Du magma en fusion jaillissent des roches incandescentes sans coup férir de deux bouches principales. C'est magique! Hypnotique!
En dehors du cratère, le Yasur offre une foule de caractères qui en font un endroit très particulier. Au pied de la caldeira, la mer de cendre est une vaste plaine gris perle où quelques buissons de pandanus font de la résistance. Plus surprenant! En se rapprochant du cône, qui chaque jour se pare au gré du vent de nouvelles formes, un canyon de cendre agglomérée sur fond de lave refroidie laisse une impression de "western" inachevé. Sur les pentes verdoyantes du volcan vit une population irréaliste. Son quotidien est fait de cendre, de poussière. Elle est engoncée dans l'ombre d'une végétation luxuriante. Elle vit au jour le jour, sachant que demain plus rien ne peut exister. Les enfants se fabriquent des luges, pour glisser sur les "congères" de cendre des bas-côtés de la route. L'atmosphère, l'ambiance que génère un volcan en activité sont une expérience inoubliable. Avant de m'y rendre, j'étais effrayée à l'idée de gravir les pentes d'un cratère actif. Poussée par la curiosité et l'intérêt de Dom, j'ai trouvé là-haut un goût de réelle aventure, un sentiment si vif, si proche de notre coeur planétaire...
Spectacle nocturne |
Lorsque nous sommes arrivés, au Vanuatu, nous avons lu des livres, nous nous sommes instruits, et en quelques jours..., quelques menues semaines, nous pensions tout savoir sur la culture d'un peuple que d'aucuns pensent "sauvage" et "peu développé". Aux semaines s'ajoutent des mois d'observations, de partages et nous allons de découvertes inattendues en stupéfactions sur l'art de vivre "au naturel". Nous serions restés des années et force est d'admettre que nous aurions déclaré, ne plus rien savoir du tout. Nous serions devenus d'humbles spectateurs d'un archipel aux cultures complexes, et divergentes qui pourtant est parvenu à créer un pays uni.
Pays de la générosité et de l'enthousiasme |
Merci aux Ni-Vans qui nous ont accueillis avec générosité et enthousiasme A bientôt sur les routes de Nouvelle-Calédonie
Nat et Dom
Une petite école du Vanuatu |
Je me sens citoyenne du monde et partie intégrante d'un grand peuple planétaire, et c'est en cela que j'aime ce mot "mondialisation". J'ai la sensation, peut-être très naïve, qu'il lisse les conflits, qu'il détend l'atmosphère et qu'il permet la libre circulation de tous les êtres. A l'heure où l'Europe reçoit le prix Nobel de la paix, cette notion "sans frontière" me parle plus encore.
Institutrice convaincue malgré le manque de moyens |
Vivre en harmonie tous ensemble est une idée que je défendrai toujours. Lisser les conflits pour arriver à la paix, cela aussi j'y adhère. Mais, la mondialisation n'apporte pas seulement la paix. Elle entraîne un flot de bouleversements, une uniformisation des habitudes humaines qui n'est peut-être pas ce qu'il y a de mieux pour tout le monde. Lorsqu'on voit de case en case, de bario en bario d'Amérique latine, les mêmes toits de tôle se répéter. Leur rouille inéluctable s'incruster partout, des îles de la Caraïbe, à celles de Polynésie. Le béton ravage l'espace, et la consommation de produits tels que le riz, les graisses de viandes, les sucres néfastes (...) progresse telle une pandémie. Peu à peu, les peuples abandonnent leurs traditions pour adhérer au rites économiques des pays occidentaux. Je ne suis pas certaine que cela représente une réelle avancée, une réelle accession à la "richesse".
Tous les dons seront utilisés |
L'ouverture ( voire la suppression ) des frontières est un bien, pour les êtres, mais l'ingérence politique, économique et la propagation d'un mode de consommation à tout va, n'est pas à proprement parler une "ouverture". Comment empêcher les grands consortiums d'envahir tous les pays de produits inutiles dont on n'arrive pas à se défaire même lorsqu'ils sont hors d'usage?
Ce débat est vaste et ne se résume pas à quelques phrases. Il demande une réflexion profonde, de poser des jalons désintéressés, raisonnables, tenant compte de chaque particularité de chaque pays, afin que chacun évolue à l'aune de son environnement et puisse ne pas dépendre de la religion monothéiste du dieu Argent. Ô grand Divin qui laisse choir les plus grandes illusions dès qu'il régente nos vies.
Institutrice dévouée et enthousiaste |
C'est un pari audacieux, que le Vanuatu peut réussir à condition que les aides venues des pays dits développés se fassent de manière cohérente. Trop souvent, les voisins pensent à se dédouaner d'une générosité bâclée et totalement intéressée en se débarrassant de surplus d'une technologie surannée dont les déchets sont impossibles à gérer sur ces îles hors du temps. Si seulement, ces voisins cessaient de lorgner ces territoires dont ils sous-estiment l'indépendance! Si seulement, ils dressaient un cahier des charges des vrais besoins et qu'ils livraient, sans plus aucune arrière-pensée, de vrais outils pour façonner l'avenir des enfants du Vanuatu... Et sinon, qu'ils laissent le Vanuatu grandir à son rythme.
TANNA : Pays de la débrouille et de la simplicité
Volcan et cérémonie hauts en couleurs