NAVIGATION DE RETOUR

LE RETOUR

Navigation en Méditerranée

côte du sud de la France

Nous quittons Agay où nous sommes restés coincés par un premier coup de vent d’est, immédiatement remplacé par un coup de mistral, lui-même suivi d’une violente tempête de sud-ouest. Nous avons passé la fin du mois de septembre à repérer les meilleurs abris qu’offre la baie d’Agay selon le vent.

Enfin, le vendredi 10 octobre s’ouvre devant nous, une fenêtre météo ! Les trains de dépression laissent la voix libre, du moins pour quelques jours. Une navigation de deux jours, au plus, nous conduira à notre point de départ et par conséquent à notre retour vers la Terre. L’ambiance à bord est celle d’un retour de vacances : silencieuse. L’atmosphère se colore d’une nuance de tristesse. Même Lune paraît comprendre… Pourtant, une journée magnifique nous attendait! Des conditions si rares en Méditerranée qu’on ose à peine les nommer tant on a peur qu’elles se dégradent en un rien de temps.

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La mer, excitée par des vents de sud-ouest, avait remué tant d’écumes que nous craignions une houle résiduelle souvent pénible à gérer si le vent est trop faible. Aujourd’hui, nous avons de la chance, elle ne laisse plus apparaître qu’une légère houle que l’Etoile de Lune chevauche poussée par un vent d’est idéal (15 à 20 nœuds).

J’ai conscience en jetant un dernier regard au Rastel d’Agay que je ne le reverrai pas de ci-tôt. Peut-être même jamais… Du moins du large ! Je sais que cette navigation pousse notre bateau vers son port d’attache. Un retour inéluctable vers ses amarres qu’il ne lâchera qu’au printemps prochain, pour des latitudes bien éloignées d’Agay. Nous aimerions rester en mer. Nos occupations, notre vie tournée vers la mer, rien ne nous en empêche ! Rien ? Si… Le calendrier affiche déjà mi-octobre. Depuis que nous sommes revenus de Corse, fin septembre, nous avons été très bousculés. Pour rester en mer à partir de maintenant, il faut aller de port en port et zigzaguer entre les avis de grand frais, les coups de vent et autres tempêtes. Nos n’aimons pas la vie dans les ports. Pour nous la vie en mer, c’est : naviguer et partir à la découverte de mouillages forains qui nous accueilleront et nous abriteront. A cette époque, outre les vents erratiques, le froid et la pluie poussent une offensive.

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Nous dépassons le Cap Dramont, l’île d’Or apparaît. Je connais cet endroit depuis ma naissance. J’ai appris à nager au départ des roches vertes en face de l’île d’Or. J’y ai fait mes premières armes en kayak. Puis, à bord du petit bateau de mes parents, je me prenais pour un marin. Plus tard, je partais depuis la plage de « la Claudine » en planche à voile, à l’assaut du phare de l’île des Vieilles … Je dirais que je connais ce site par cœur. Et pourtant, croiser au large de l’île d’Or sur l’Etoile de Lune me procure une émotion indescriptible. Tout se mélange, les souvenirs et l’extrême beauté de ce site protégé. La gorge un peu serrée, je m’oblige à détourner mon regard vers le grand coupable de tout cela : l’horizon. côte du sud de la FranceC’est pour lui, pour lui seul que nous partons ! Il est là, brillant des feux de millions d’étoiles. Il nous appelle et nous fait un signe… A quelques encablures, un jet d’eau, et ce bruit caractéristique. Nous nous dressons pour confirmer cette vision. Un cachalot ? Oui, un cachalot, caresse son dos énorme sur la surface de l’eau. Une dernière respiration, et… Il plonge, nous laissant cette vue de carte postale : une nageoire pointant le ciel avant de rejoindre son plat préféré au fond de la grande bleue !

Nous avons raison de partir, il y a encore tant de choses à découvrir !!!
Tout le jour, un vent portant nous conduira jusqu’à Porquerolles. Nous atteignons l’extrémité Ouest de l’île à la tombée du jour. Nous nous arrêtons pour la nuit dans la baie des langoustiers. Demain est une longue journée, il reste encore pas mal de milles jusqu’à Port Camargue…

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Le lendemain, le soleil est boudeur, mais le vent est toujours aussi favorable. En 110 jours de mer, nous trouvons ces conditions exceptionnelles. Jamais, nous n’avons bénéficié de vents portants modérés durant plus de quelques heures. En général, la sanction est immédiate : soit tempête, soit pétole ! Là, non ! Incroyable ! La brise reste établie, irréprochable... Ivres de bonheur nous naviguons avec 25 nœuds de vent arrière. Pourtant, sur ce parcours, il est des caps redoutés. Nous avons passé hier le premier, Cap Camarat, sous un souffle transcendant. Souvent, ce premier Cap est la limite derrière laquelle se planque le Mistral. Il nous est arrivé, bien des fois, de connaître une simple brise dans le golfe de Saint-Raphaël, tandis que derrière Camarat se déroulait le scénario déroutant des bourrasques et des rafales assénées par un mistral traître et violent. Plus loin, en face des îles d’Hyères se dresse le Cap Bénat. Hier, celui-ci se signala par un renforcement de la brise. Ceci avait fait sourciller le Capitaine, mais rien de bien méchant que notre Etoile de Lune ne put franchir.

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Aujourd’hui, au-delà de la presqu’île de Giens, nous croisons au large du plus dangereux d’entre eux : le Cap Cisié qui jouxte son homologue le Cap Cépé. Sous un ciel de plomb, cette éminence grise éperonne la mer avec férocité. Il écrase de sa hauteur orgueilleuse le navire qui le double. En passant au large, nous observons avec curiosité la bête noire des marins du coin. Nous nous remémorons les sempiternels bulletins météo qui ne manquent jamais de le nommer : « Au cap Cépé, 50 nœuds en rafales… Renforcement des vents vers les caps et les îles »… Autant d’alertes que nous finissons par connaître par cœur. Nous devinons les morsures infligées à la roche par la mer poussée par des rafales furieuses. Aujourd’hui, les ennemis titanesques sont en paix, et susurrent une chanson douce dans nos voiles. L’Etoile de Lune a des ailes, nous la sentons capable de nous emmener au bout du monde… (Soit dit en passant…Ca tombe plutôt bien !) Une bourrasque nous cueille alors que nous croyons au bonheur, le vent change et tourne. Le Cap Cisié veut-il nous éprouver ? Le Capitaine reprend la barre laissée jusque là au pilote automatique, je borde les voiles. Nous attendons le verdict… Puis, la brise se rétablit, en travers… C’est bien aussi. Les milles continuent de s’accumuler et la route est toujours aussi belle.

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Dommage qu’il faille rentrer… Le mot est lancé ! Le Capitaine réfléchit, et scrute l’horizon. Nous avons écouté la dernière météo. Elle nous laisse encore un peu de répit. Le prochain coup de vent est annoncé dans trois jours. Pourquoi se presser ? Excellente question. Nous réfléchissons, tout en laissant notre Etoile parcourir ses milles. Une telle réflexion passe toujours par une étape cruciale : l’étude de la carte. Nous croisons au large de La Ciotat. Je tente de n’en regarder que le Cap caractéristique qui referme la rade de la mégapole sur l’ouest. Les rochers ont subi une érosion imaginative. Celle-ci a en effet sculpté un « bec d’aigle ». Au-delà du Cap Bec de L’Aigle, la roche ocre devient plus sauvage. Nous devinons un mouillage possible au pied du Cap Canaille.

Voilà comment, le Capitaine a la merveilleuse idée de rallonger cette croisière, que nous croyions finie. Les vents, nous ont guidés jusqu’à ce mouillage gigantesque où nous sommes voluptueusement seuls. Cassis est à quelques encablures, mais cachée derrière une petite presqu’île exquise couverte, de pins gigantesques. Le soleil a l’extrême bonté d’apparaître en fin d’après-midi et nous laisse sous le charme du jeu chromatique du Cap Canaille.

Le retour

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Pour notre dernière navigation, le vent nous abandonne. Une houle longue prédit le coup de vent d’Est annoncé dans moins de 20 heures. La mer, délaisse ses belles couleurs bleues et ses étoiles. Le Rhône gagne la partie et déverse ses résidus alluvionnaires. L’eau mime la Terre et adopte des teintes brunâtres, pire verdâtres… Les belles falaises sont loin derrière nous. Le paysage s’est écroulé. Il a disparu. Comme enlevé par les manipulations d’un magicien maladroit ! Au large de Fos la situation se dégrade. L’odeur pestilentielle des raffineries monte à bord. Elle s’invite, péremptoire, et fouille chaque recoin du bateau. Pas moyen d’y échapper. Nous traversons laborieusement la route aveugle des tankers indifférents à la peine de notre voilier lilliputien. Cette navigation prend des allures de facture… Une facture bien lourde pour 110 jours de merveilles accumulées sans relâche.

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Lune tourne et retourne sur elle-même. Elle ne trouve pas sa place dans ce cockpit qu’elle connaît par cœur. Elle grogne autant que son maître qui se lasse déjà des borborygmes du moteur. Elle peste autant que sa maîtresse qui ne parvient pas, même en regardant l’horizon, à trouver un petit coin de couleur. Tout est uniforme. Ciel et mer sont confondus dans un magma insipide. Ambiance joyeuse, adaptée au décor et aux circonstances !

Notre sillage s’étire monotone sur les eaux grises de la Camargue. Nous n’espérons plus rien. Pas un dauphin, pas un cachalot ne viendra dans ces eaux trop riches en alluvion pour eux. Nous nous sentons seuls, et notre vague à l’âme répercute son écho jusqu’à l’horizon.

Pourtant, il ne faut jamais désespérer, une journée en mer offre toujours quelques surprises. Celle-ci aussi ! Le soir, vers l’ouest, le ciel se déchire et découvre des petits morceaux d’azur dans les nuages qui s’émaillent des camaïeux du couchant. Au même moment, la mer prend un aspect que je ne lui avais jamais vu. La longue houle se meut en petites ondulations argentées. La texture huileuse en est si opaque, que le plan d’eau tout entier semble s’être métamorphosé en une énorme plaque de métal malléable. Comme si une carapace d’aluminium avait recouvert la surface de l’eau ! Cette onde métallique se propage jusqu’à l’horizon. Est-ce une hallucination ? Je photographie ces moments qui s’éternisent jusqu’au-delà du coucher de soleil.

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Puis, il est temps de ranger le matériel, un froid humide nous transperce les os. Le phare de l’Espiguette est en vue. Il faut éviter les nombreux filets de pêche qui encombrent le plan d’eau. Nous contournons le phare… Puis passons entre les deux bouées verte et rouge qui délimitent l’entrée de Port Camargue. La capitainerie salue le retour de l’Etoile de Lune dans son port d’attache. Le port est désert… Sans bruit, sans effusion, nous engageons le bateau dans sa place. Quatre amarres… Ca y est l’Etoile de Lune est à nouveau ficelée…

Patience… tu regagneras bientôt ta liberté…